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VITDITS ET AGLAMIETTES
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Vous venez d'atterrir sur le blog d'AGLAMIETTES où sévissent Aglaé, Thomas et Dan.

Chez nous, vous trouverez des textes courts, des aphorismes pas toujours très sérieux, des réparties dites VD, ou « Vitdit » pas vraiment classiques, mais, autant que possible humoristiques.

Laissez-nous un commentaire si vous avez le temps et l'envie.

Les commentaires sont accessibles sous chaque post de nos auteurs.

Une réponse vous sera adressée (sauf caprices de l'informatique toujours possible) !

vitdits-ecran

Participez sous la rubrique : « Le Plumard » réservée à nos amis et invités.

A bientôt !

18 mars 2013

Nicolas Veyron..."Ann"...Le style inoubliable de Nicolas... je cherche des textes de lui!!!

 

emeutes_nicolas_veyron

 

Ann

 

 

Ann avait vingt ans, moi presque deux de moins.

 

Elle portait des robes longues, des vêtements flottants, de drôles de sous-vêtements, comme des tee-shirts à manches longues, fermés par trois boutons-pressions entre les jambes.

Elle avait un nez en trompette, la raie au milieu, les cheveux longs.

Elle n'aimait pas sa tête d'Américaine.

Au freesbee, elle était nulle. Au mâh-jong, elle était bonne.

 

Elle buvait du vin blanc et de la bière, fumait des gauloises, préférait l'herbe au hash, alternait les cachetons euphorisants et tranquillisants. Elle déconnait avec ça.

 

Elle m'a brisé le cœur avant de le soigner.

Elle était censée apprendre le français et m'a appris l'anglais.

Elle dormait en chien de fusil.

 

Elle tenait un journal intime dont elle ne m'offrait que des extraits.

Je donnerais une fortune pour le retrouver.

 

Elle m'a offert un journal. Sur la page de garde, elle avait écrit :

« Je t'aime. Et souviens-toi de ça ».

 

Elle collectionnait les bracelets dorés. Ses mouvements cliquetaient.

Elle aimait bien les restaus chinois.

Elle avait peur de l'avion. S'en tirait avec des gin-tonic.

Son deuxième prénom était Stuart.

 

Elle se trouvait trop ronde, je la trouvais appétissante.

Elle jugeait ses seins trop lourds, je ne voyais pas où était le problème.

 

Elle adorait le cinéma.

Nous avons visité toutes les salles du Quartier latin de l'époque.

Ensemble nous avons vu les Doors, Stephen Stils et Manassas, Chuck Berry, Paul McCartney. Nous devions voir Lou Reed et Marlène Dietrich, mais les deux concerts ont été annulés. Elle était organisée : préparait quelques joints avant, prévoyait le retour en taxi.

Elle m'a fait découvrir Herrmann Hesse.

 

Elle habitait rue Galande, un studio plus haut que vaste avec des poutres de trois mètres cinquante. La baignoire était en sabot, la chasse d'eau souvent déficiente. La fenêtre donnait sur une cour minuscule.

 

Ses yeux étaient bleus-bleus, profonds, brillants, aimants, intelligents, gais, tristes. De vrais beaux yeux avec de longs cils. Un jour, elle s'était maquillée. J'en serais tombé par terre.

 

J'ai arrêté mes études, désespéré mes parents, tout plaqué.

Elle seule importait.

 

Pendant plusieurs mois, nous avons vécu sur une île paradisiaque en Grèce. Plus qu'il n'en faut pour comprendre que nos limites, nos barrières, nos freins, toutes ces saloperies qui pourrissent nos vies nous accompagnent partout au plus profond de nous-mêmes.

 

Elle connaissait bien ses faiblesses, se débrouillait pour les contourner. Parfois elle pleurait, saisie par des angoisses dont j'étais incapable de seulement concevoir la nature.

 

Elle avait honte de ses ongles rongés.

 

À l'enterrement de sa mère, l'orgue jouait : « Where have all the flowers gone ? » de Peter Seeger. Avec elle, son père et ses deux frères, nous nous sommes enivrés au gin-tonic.

 

Son père avait été diplomate. Son frère aîné était charpentier dans le Colorado, le cadet acteur de théâtre entre Berlin et Rome. Elle, elle ne savait pas trop qui et où elle était.

 

Enfant, elle avait grandi en Angleterre, en Grèce, en Inde. Elle détestait son pays, sauf pour conduire de grosses voitures.

 

Pendant deux mois, nous avons vécu chez son père dans le Maryland, dormant dans deux chambres séparées. J'ai dû repartir, faute de visa. Elle m'a accompagné à l'aéroport. Nous n'avons pas pu partager une dernière bière car je n'avais pas vingt et un ans, âge légal pour boire de l'alcool dans cet État. La rage a remplacé le désespoir. Nous devions nous retrouver, d'une manière ou d'une autre, aussitôt que possible et ailleurs.

 

Nous ne sommes écrits pendant des années, de moins en moins souvent.

J'ai épousé une autre. Elle m'a félicité, a écrit qu'elle se réjouissait pour moi.

A ma connaissance, elle est restée seule.

Elle travaillait à New York, chez Simon et Shuster.

 

Sa voix était grave, profonde. Elle parlait anglais avec la gorge, pas avec le nez. Elle avait honte de son français.

 

Elle nageait comme un poisson.

 

Quand elle voulait être lisible, elle écrivait en lettres capitales.

 

Elle est morte d'un arrêt cardiaque, à trente six ans. J'ai écrit à ses frères mais je n'ai jamais reçu de réponse. Je ne sais pas où elle repose.

 

Je pense souvent à elle. J'ai cru la voir de nombreuses fois.

 

 

 

Nicolas Veyron

 

 

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Commentaires
J
Simple et superbe.
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S
Oui, Aglae, tu nous fais plaisir à rebloguer ce texte !<br /> <br /> C'est un mystère pour moi que certains écrivent des choses de la vie qu'on pourrait dire "banales" dans le sens communes, et que la façon dont ils les écrivent les rendent passionnantes...
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S
J'aime toujours autant !<br /> Aglae, tu nous en mettras d'autres textes de Nicolas, ça serait bien.<br /> Ann, tu ne seras pas déçue par le recueil.<br /> En plus, c'est ma couverture préférée de la collection...
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A
...ils datent de 2002 l'année où je l'ai connu à l'Atelier d'écriture de Valérie Note. Hervé était déjà là...J'ai un peu de mal à les mettre en ligne car mon appareil à reconnaissance vocale, malgré les mises au point nécessaires, fait beaucoup de bêtises! On va bien ensemble en quelque sorte.
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D
... et je te poste ton Nico...<br /> (si j'ai bien tout pigé ?)
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