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VITDITS ET AGLAMIETTES
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Vous venez d'atterrir sur le blog d'AGLAMIETTES où sévissent Aglaé, Thomas et Dan.

Chez nous, vous trouverez des textes courts, des aphorismes pas toujours très sérieux, des réparties dites VD, ou « Vitdit » pas vraiment classiques, mais, autant que possible humoristiques.

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vitdits-ecran

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A bientôt !

16 juin 2016

Nouvelle de Pépito... ETIENNE...

 

prison

 

 

 

Etienne

 

 

 

 

Il était une fois… pour toutes, établi que mon repas quotidien serait composé de légumes.

Par qui et pourquoi, je n’en ai aucune idée… Aujourd’hui, Daucus Carotta ! Le changement dans la continuité. Puis-je caresser l’espoir de manger, un jour, autre chose que des légumes ?!…


Faut pas rêver. Solitaire, radoteur et végétarien d’office, voilà pour les conséquences. Prisonnier à vie, voilà pour la sentence. Ha, et innocent aussi… pour ce que cela a d’importance.


Comble de bonheur, la pitance du jour n’est pas de première fraîcheur. Voilà qui ne chamboulera guère mes habitudes. Quoique, en y repensant, cette dernière livraison avait un petit je-ne-sais-quoi de différent. Ce quelque chose qui cloche, que l’on capte inconséquemment et qui court se cacher dans un coin de sa conscience. Le genre à s’enfoncer plus profond dans les méandres du cerveau dès que l’on essaie de le rattraper. Il peut toujours attendre pour que je me lance à sa poursu…


Le déclic de la serrure !


Je n’ai pas entendu le satané déclic de la serrure, j’en suis sûr ! Trois petits pas plus tard, je pousse doucement sur la porte… Elle s’entrebâille, sans effort.


Et si c’était une ruse des ombres ?


Je jette un regard sur mon intérieur douillet. Une seule pièce, cernée de barreaux verticaux, de la paille humide, des ordures dans tous les coins - je n’aime pas trop faire le ménage - la dernière livraison de nourriture au beau milieu de la pièce et contre la paroi du fond, mon matériel d’exercice. Pas vraiment le dernier cri du home-trainer et jamais étrenné, de toute façon.


Et cette odeur de renfermé, plus forte maintenant que je la compare à celle de la liberté… Abjecte en fait, allez hop, rien à regretter !


Passé le seuil, la perspective me trouble. Je pouvais déjà voir ce qui m’entourait à travers les barreaux de ma cellule, mais curieusement, débarrassé de ce tranchage vertical, l’espace s’est démesurément agrandi. Je longe maintenant une paroi qui s’élève bien plus haut que ne peut suivre mon regard. À l’opposé le sol, rainuré et massif, semble s’étendre sans fin en une succession de rectangles juxtaposés. Plus loin encore, j’aperçois une enfilade de colonnes sculptées disposées quatre par quatre.


Les odeurs aussi sont différentes. Une mosaïque d’essences qui se croisent, se superposent et s’effilochent au moindre courant d’air. Tout est nouveau. Tout est merveilleux. Comment ai-je pu vivre tout ce temps sans connaître de telles sensations ?


Curieusement je revois la Mère, me répétant à l’envi :


- Etienne, mon petit, tu ne sais pas apprécier la chance d’avoir le ventre plein.


Sottises ! Il faut croire que « l’on ne regrette jamais ce que l’on n’a jamais eu ». Mes sens sont aujourd’hui plus rassasiés que mon ventre ne pourra jamais l’être. Si elle pouvait voir maintenant son fils, arpenter à grands pas cet espace immense et magnifique ?


Où peut-elle bien être en ce moment ? Plus de nouvelles depuis ce lointain matin sombre où je l’ai sentie immobile près de moi, insensible à mes cris, à mes câlins. Plus tard dans la journée, l’ombre a surgi, l’emportant sans qu’elle m’ait fait le moindre signe… et je ne l’ai plus jamais revue…


Que pourrait-elle pens…


SCHTOOONG ! Schiiiii…


Sursaut ! Un choc sourd, suivi d’un chuintement… Le cœur battant, je cours me mettre à l’abri d’une avancée et me pelotonne dans sa pénombre.


Juste à temps ! Cela arrive en louvoyant, choque de nouveau contre une colonne de mon refuge, la contourne maintenant. La rêche fourrure de son ventre gratte le sol avec un bruissement désagréable. C’est moi que cela cherche, sans aucun doute.


Ne pouvant fuir, je me serre désespérément dans l’étroit espace entre une colonne et la paroi derrière moi. Cela marche en crabe, raclant de sa roide toison l’angle formé par le sol et le mur. Pas de pattes, pas d’yeux visibles, de longs poils raides sous le ventre, une queue droite, rigide et démesurée qui se perd par-delà le surplomb qui me protège.


Pourvu que cela n’ait pas d’odorat !


Cela vient encore taper contre la colonne qui m’abrite, ses poils drus me labourent le flanc. Cela hésite un instant, puis contourne ma cachette et continue sa course oscillante, de plus en plus loin, butant çà et là sur des obstacles qui me sont maintenant invisibles.


J’aspire, enfin, à pleins poumons et réalise soudain que durant tout le passage de la chose, me parvenait en continu l’appel infra-son d’une ombre. Je viens d’échapper, par miracle, à une tentative de récupération…


La liberté n’en a que meilleur goût, celui des grands espaces…


Sitôt sorti de mon recoin, les découvertes reprennent de plus belle. Le sol vient subitement de changer d’aspect, une étrange zone velue dans laquelle j’enfonce mes pas, le contact en est doux, agréable. Soudain, devant moi, une faune improbable de petites créatures affolées s’enfuit en sautillant dans toutes les directions. Je préfère les laisser tranquilles. Je m’écarte et reviens sur un sol plus dur… et plus rassurant.


Le temps défile à la vitesse de mes découvertes successives. Seul problème, je commence à regretter d’avoir séché les séances d’entraînement dans ma cellule. Je ne sens plus mes jambes tellement je suis fatigué. Qu’importe, je continue, tiré par le bonheur de pouvoir me déplacer librement. D’aucuns diraient que je suis transporté de joie…


Pourvu que cela dure.
Cela ne va pas durer.


La désillusion me frappe juste au moment où je traverse sa trace. L’odeur est si forte que les narines me brûlent. Comment ai-je pu oublier la Bête ?


Trop tard ! Elle est là, figée, à quelques pas devant moi, me tournant le dos.


Je suis tellement immobile que mes jambes commencent à s’enfoncer dans le sol pour s’y dissoudre. Ma couleur, quant à elle, est déjà celle du décor qui m’entoure.


Du moins, je voudrais le croire…


Averti par un sixième sens, ou plus simplement par le claquement de mes dents, la Bête immense se retourne d’un coup, plus félinement encore que ne le lui permet sa nature.


Ses yeux s’agrandissent ; surprise et interrogation.
Ses babines se retroussent ; saveur et anticipation.


Impossible de se cacher, plus moyen de fuir, il ne me reste qu’une seule solution, attaquer le premier !


- Salut mon gars ! Bonne après-midi pour une balade, non ?


Sans répondre, il se déhanche vers moi, souple, puissant, la grâce réincarnée. Arriver à tortiller ainsi de l’arrière-train sans perdre sa masculinité, faut le faire. Il est vrai que la rangée de dents, zigzaguant entre ses babines telle la courbe du détecteur de mensonges de Pinocchio, force le respect. Toutefois, depuis le temps qu’il tourne autour de ma cage à faire de la philosophie dominicale, j’ai eu le temps de m’habituer à sa herse à double battant.


Petite différence tout de même, jusqu’à aujourd’hui, nous étions séparés par une grille de fer…


- … sinon… c’est très agréable de pouvoir se promener un peu partout à notre convenance. Nous avons bien de la chance… bredouillé-je encore.


Toujours silencieux, il s’allonge face à moi, sa tête plus haute que la mienne, étend ses pattes feutrées de part et d’autre de mon corps tremblotant et, d’un coup sec, fait jaillir ses griffes. Je jurerais entendre un claquement métallique.


- Sais-tu que je m’interroge depuis fort longtemps sur le goût que tu peux avoir ? ronronne-t-il.


Pour le mouvement c’est sûr, il déborde de grâce. Pour l’haleine, par contre, cela ne vaut pas vraiment une vallée de violettes. Par politesse, je ne lui en fais pas la remarque…


- Oups ! On ne s’emballe pas. Je suis certain que nos maîtres ne voudraient pas que tu m’occises.


- Nos maîtres ? Nous devons donc obéir à des maîtres maintenant ? N’est-ce point toi qui, il y a peu, prêchais quelque chose comme : "Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres" ?


- Oui, certes, mais là, ce n’est pas pareil. Ce serait même plutôt l’inverse. Dans le style de : donner un rôle de prédateur à certains « afin de les tenir par leur avidité ou par leur cruauté et qu’ils les exercent à point nommé et fassent d’ailleurs tant de mal qu’ils ne puissent se maintenir que sous l’ombre [des maîtres] ».


- Humm… fait-il, se grattant maintenant l’occiput de l’extrémité effilée d’une griffe solitaire.


Heureusement, son cerveau est bien moins aiguisé que sa denture. Le temps qu’il digère ma sentence, je vais pouvoir opérer un repli stratégique. Tout en reculant, je lui assène, juste pour le plaisir, une dernière mine de réflexion.


- Et n’oublie pas, « les tyrans ne sont grands que parce que tu es à genoux ». Enfin, en l’occurrence, à quatre pattes…


La Bête est un brave garçon mais plutôt lent à la réflexion, les discussions avec lui n’en finissent jamais. Je ne peux m’empêcher de penser que « nous ne sommes pas nés seulement en possession de notre [liberté], mais aussi avec affection de la défendre. » Le laissant donc à ses profondes pensées, ses yeux jaunes en amandes perdus dans le vague, je repars en catimini. Trop heureux d’avoir réussi à écourter une rencontre qui aurait pu se révéler hasardeuse.


Ma soif de merveilles reste indemne, je marche encore un long moment, furetant dans tous les recoins, emplissant mon regard de tout ce qu’il voudra bien contenir, ingurgitant avec délices toutes les odeurs nouvelles qui viennent titiller mon odorat.


Je contourne une énorme colonne, lisse et cylindrique, d’où s’échappe en volutes paresseuses, un effluve exquis. Subtil, envoûtant, venant se superposer à la multitude olfactive, ce parfum éveille en moi une impression de déjà senti.


Au moment où je réalise qu’il s’agit d’une fragrance de légumes confits, un sourd grondement se fait entendre. Je sursaute, jetant alentour un regard inquiet, pour finalement réaliser que c’est de mon ventre que sort le grognement intempestif. Au même moment une crampe douloureuse me tord les boyaux.


J’en ai peu l’expérience, mais je sais reconnaître la faim quand elle se fait entendre. Je n’ai rien avalé depuis mon échappée matinale et n’ai rien vu de potentiellement comestible depuis.


Je fais quelques pas pour m’éloigner de l’immense colonne dont l’arôme n’est plus pour moi qu’une terrible torture. Dire que quelques heures plus tôt je critiquais la monotonie de mon régime alimentaire… Naître prisonnier des ombres n’est pas une fatalité, mais si « la première raison de la servitude volontaire, est l’habitude », la seconde est sûrement la faim.
Et c’est vraiment la fin !


Dans ma déroute, je me suis laissé aller à découvert. Tout juste le temps de ressentir les vibrations de pas en approche et une ombre me recouvre brusquement. Instantanément, dix petits esclaves blafards aux extrémités arrondies m’immobilisent et me soulèvent comme un fétu. Des infra-sons se font de nouveau entendre.


- Mamie ! Mamie ! J’ai retrouvé Etienne ! Il était à côté de la poubelle…


Martyrisé, impuissant, je me laisse gagner par l’atonie. Après une expérimentation de la liberté aussi palpitante, il est évident que le retour en cage n’en sera que plus dur.


Mais il ne sera pas dit qu’Etienne Trotte-Menu se rendra sans un baroud d’honneur. Relevant la tête avec vigueur, puisant dans mes ultimes ressources, je lance à l’ombre une dernière pique de défi.


- Contrairement à vous, « les bêtes ne se peuvent accoutumer à servir qu’avec protestation d’un désir contraire » hurlé-je vers la source de tous mes maux (mots ?), et avant de m’avouer définitivement vaincu, j’ajoute grandiloquent : - Ni dieu ni maître !! -


Bien que je ne comprenne pas sa réponse infra-son, je ne doute pas que mon invective ait atteint son but quand il me répond :


- Comme c’est rigolo un hamster… Celui-ci n’arrête pas de couiner…

 

 

Pépito

 

 

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Entre «*» Extraits du Discours de la servitude volontaire, Étienne de La Boétie – 1549.
Entre -*- Titre du journal anarchiste crée par Auguste Blanqui – 1880.

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