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VITDITS ET AGLAMIETTES
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Vous venez d'atterrir sur le blog d'AGLAMIETTES où sévissent Aglaé, Thomas et Dan.

Chez nous, vous trouverez des textes courts, des aphorismes pas toujours très sérieux, des réparties dites VD, ou « Vitdit » pas vraiment classiques, mais, autant que possible humoristiques.

Laissez-nous un commentaire si vous avez le temps et l'envie.

Les commentaires sont accessibles sous chaque post de nos auteurs.

Une réponse vous sera adressée (sauf caprices de l'informatique toujours possible) !

vitdits-ecran

Participez sous la rubrique : « Le Plumard » réservée à nos amis et invités.

A bientôt !

25 mai 2013

Hervé Baudouy...'Passion sans freins'...troisième partie...

TIMG_1485Troisième partie.

Bon. La famille maintenant. Enfin, celle qui me reste. Tonton Gilbert et tante Germaine. Je les appelais Gégé... Je reprends la voiture, remonte les rues les unes après les autres, sans me tromper. Ah! La mémoire! Je sonne et pousse la porte.
— Salut, garnement! Entre! Pourquoi as-tu attendu aussi longtemps?
— He bien... Je...
— Peu importe. On va mettre les choses au point. Je n'ai jamais cru que tu avais pu faire... ça. Et je n'ai pas pu témoigner. Une honte!
— Merci, Tonton.
Je crois que je n'avais jamais souri ainsi depuis des années.
— Si tu nous avais prévenus, ta tante aurait pu mettre les petits plats dans les grands.
— Si je me souviens bien, elle n'a pas de petits plats.
— C'est vrai.
Et ma tante, Taty Germaine, a jailli, littéralement, de la cuisine... s'est ruée vers moi...
— Mon chéri!
... m'a embrassé – fougueusement...  a reculé :
— Tous des salauds !, a-t-elle craché. Je suis sûr que tu as faim. Tu avais toujours faim!
J'ai souri à mes souvenirs.
— C'est vrai, j'ai faim. Il y a longtemps que ça ne m'était pas arrivé.
Et elle est repartie — façon tempête — dans la cuisine.

Oui, ça fait cliché, mais c'est parfois vrai : un repas en famille. Pas de stress, pas de suspicion, pas de questions gênées... Juste le plaisir d'être ensemble, de manger ensemble, de rire ensemble. Et je repensai à ceux qui m'évitaient dans la rue. Au diable! Mec, pense plutôt à ceux qui ont traversé la rue pour venir te serrer la main!
On s'est installés au salon, un Cointreau dans la main.
— Alors, garnement, qu'est-ce qui t'amène? Il me fixait comme jadis, l'air de dire : "Ne me raconte pas d'histoires!".
— Ok ! Allons-y!
Et je lui ai raconté la deuxième... affaire. Ils m'écoutaient, me regardaient, les yeux écarquillés. Mais mon oncle regardait aussi trop souvent ailleurs. Il s'est levé soudain, et se mit à ranger des choses sur la commode. Pas mon oncle, ça...
— Oncle Gilbert!
— Heu... Oui? Il s'est retourné, mais j'ai vu qu'il avait du mal à me regarder.
— Pas d'histoires, tu te souviens?
— Oui... Oui, tu as raison. Il s'est rassis, a rempli les verres, le regard perdu, très loin me semblait-il...
J'ai repris :
— Alors, j'ai décidé de reprendre mon histoire depuis le début. L'école, les copains, et puis... l'accident.
Mon oncle s'est levé brusquement, a passé la main dans ses cheveux, a regardé ma tante. Laquelle a hoché doucement la tête. Puis il s'est décidé :
— L'accident? Quel accident?!
— Mais... leur accident de voiture… les freins...
Il a ricané.
— Fiston, ton père était le meilleur garagiste de la région. Hyper-compétent, et honnête! Les gens venaient de 50 ou 100 km à la ronde pour faire réviser leur voiture! Et sa voiture personnelle était entretenue comme jamais. Tu crois vraiment qu'il aurait eu des freins défectueux? Tu crois ça?! Jamais! Il n'aurait jamais pris aucun risque, surtout avec ta mère.
— Pardon?
— Là, il faut remonter plus loin, au Collège. Ta mère était la vedette du Collège. Belle et brillante. Tous les garçons tournaient autour. Enfin, tous sauf ton père, son ami, moi et quelques autres. Moi, parce que je tournais déjà autour de ta tante (ricanements en stéréo et sourires complices). Ton père et Jean parce qu'ils étaient timides, et qu'il ne se trouvait pas vraiment beau. Mais les choses ont tourné autrement. Ta mère l'a remarqué, l'a isolé peu à peu, a repoussé les autres vautours et... He bien c'est lui qu'elle a choisi. Je passai, un jour, près de leur banc. Je l'ai entendue dire, du ton autoritaire qu'elle savait prendre...
— Oh oui! Je me souviens, ai-je noté en souriant, malgré mes yeux assez embués.
— Ça donnait ceci : "Tu m'emmerdes, avec tes états d'âme! Tu ne te trouves pas assez beau? La belle affaire! Alors, disons que je suis assez belle pour deux, et on n'en parle plus! Tu ne te trouves pas assez brillant? Mais je m'en fous, que tu sois brillant ou non! Tout ce qui brille n'est pas or! La vraie question est : "Est-ce que tu m'aimes? »
— Oui.
— Bon, c'est vendu! Affaire classée! On fixe la date du mariage tout de suite?

— Tu vois le genre, a continué mon oncle. Il l'a mise sur un piédestal. Rien n'était trop beau pour elle. Et s'il est devenu le meilleur garagiste de la région, c'est pour elle. Il a acheté la maison, pour elle. Et sa voiture était encore mieux entretenue que les autres. Pour elle. Mais...
— Mais...?
— Le plus triste, dans tout ça, c'est que ta mère n'aurait pas dû être dans la voiture ce jour-là. Elle avait été invitée à je ne sais plus quelle fête...
— Et...?
— Au dernier moment, elle a décliné l'invitation, et ils sont partis tous les deux...
Un long silence a suivi.
Mais je me suis secoué :
— Tu as ricané tout à l'heure, quand j'ai parlé de l'accident. L'enquête...
Il a encore ricané, a regardé ma tante, qui a nouveau hoché la tête en disant simplement :
— Il est venu pour ça.
Alors, il a repris, avec un rire sarcastique, et triste :
— L'enquête? Quelle enquête? Deux policiers qui ont jeté un œil — négligent et rapide — sur la voiture, sur les lieux. Et ils sont repartis faire leur... rapport. Il avait craché ce dernier mot. « C'est ça une enquête?!»
— Tu crois que...
— Non! J'en suis sûr! J'en ai toujours été sûr. Mais je suis comme toi, un marginal, un pas-comme-tout-le-monde. Alors... Je rêve...  je fantasme... j'imagine... j'affabule, n'est-ce pas? Tant de gens tenaient à ne pas se poser de questions. Et le temps a passé. Tu avais fait ta vie ailleurs.
— Et tu n'as aucune idée?
— Si. Pourquoi crois-tu que je t'ai expédié chez mon frère? Cette histoire puait, et j'avais peur pour toi. Et j'y ai réfléchi je ne sais combien de fois.
— Et...?
— il y aurait bien deux personnes que je pourrais soupçonner.
— Qui?
— T'emballes pas, fiston, ce ne sont que des suppositions.
— Qui?
— He bien, d'abord, l'ancien maire.
—... ?
— Daniel Lentelles.
— Je ne vois pas...
— Il avait peur de ton père.
— Peur?
— Les élections approchaient, et un paquet de gens avaient demandé à ton père de se présenter. Il était populaire, ton père ! Il aurait été élu et serait devenu maire.
— Et tu crois que ça suffit pour...
— Va savoir ce qui peut se passer dans la tête d'un politicien. Car il l'était jusqu'au bout des ongles!
— M'ouais... Et l'autre supposition?
— Gilles Grambier.
— Inconnu au bataillon.
— Surnommé Gigi. Lui aussi aimait ta mère. Mais de manière un peu folle. Si ses parents ne l'avaient pas retenu, il aurait fait un scandale au mariage. Et il a agressé ton père, un soir dans un café. Les autres clients l'ont retenu, mais ça n'est pas passé loin. Il a quitté le café en marmonnant des menaces. Ça se passait deux mois avant... avant l'accident.
— Bien! Donc, deux... suppositions. Rien pour les départager?
— Rien. Parce que... ils ont disparu du village, tous les deux, après la mort de tes parents. Le maire pendant deux mois. Le Gigi pendant cinq ans. Bref... Rien pour nous faire avancer.
J'ai regardé la photo de mes parents sur la cheminée. J'avais quinze ans. La voiture... le ravin... ce trou au cimetière... ce silence... ce vide.
J'ai serré les poings et j'ai lâché :
— Maintenant, on va y regarder de plus près!
— Après tout ce temps?, a demandé ma tante.
— Oui! J'ai des policiers avec moi. Ils savent que c'est un coup monté. J'avais un alibi pour ce soir-là : j'étais à l'hôpital! Donc, c'est un coup monté. Et on va le démonter, je vous le garantis!
Je criais presque. Ma tante s'est assise près de moi, m'a serré contre elle. Un moment a passé, silencieux.
— Tu dors ici?, a demandé mon oncle.
— Non, pas ce soir. J'ai besoin de retrouver ma chambre, mes quinze ans, mes posters, ma guitare. Ça me fera du bien, je pense. Mais je reviendrai demain.
— Quand tu veux, a dit ma tante en souriant.

J'allais sortir, quand mon oncle a laissé tomber :
— Il a un enfant avec lui.
— Quoi?
— Un gamin d'une douzaine d'années.
— D'où sort-il?
— On ne sait pas. Grambier est, officiellement, le père. Mais pour le reste... Il a fait un geste vague. « Il est poli, bon élève... »
— Mais il n'a pas l'air heureux!, a complété ma tante.
— Du travail pour les policiers !, ai-je lancé en sortant.
Dans ma voiture, miracle!, je n'ai fait le numéro du commissaire qu'une fois.
— Commissaire? C'est moi.
— Quoi de neuf?
— Deux choses. L'accident de mes parents pourrait bien être un meurtre.
— Ah!
— Oui. Ces freins n'ont pas lâché tout seuls, d'après mon oncle. On pourrait bien les avoir aidés.
— Qui?
— Un certain Lentelles, l'ancien maire. Ou un certain Gilles Grambier, qui haïssait mon père.
— Pourquoi?
— Mon père avait épousé Suzy, que Grambier  convoitait lui aussi.
— C'est un peu... léger.
— Oui, mais on pourrait faire expertiser la voiture. Mon oncle l'a gardée chez lui, enfin, ce qu'il en reste.
— Oh! Je m'en occupe. La deuxième chose?
— Grambier a un garçon chez lui.
— Et...?
— J'aimerais en savoir plus sur lui, et sur son... père.
— D'accord. Je m'en occupe aussi. Pour l'instant, faites-vous oublier. Venez ce soir à l'Hostellerie du Château. On parlera discrètement. Et puis, videz les lieux le plus vite possible. Inutile d'alarmer... qui que ce soit, d'accord?
— Ok. J'ai promis à mon oncle de repasser demain, mais j'évacue la piste demain après-midi.






Quatrième partie.

Un autre repas « familial ». Les locataires de la maison, un repas sympa encore une fois, sans questions horripilantes. Et puis, l'un des garçons (15 ans, son frère 17) a lancé timidement :
— Il parait que vous jouiez de la guitare?
J'ai souri :
— Oui... dans une autre vie.
— Mais... vous avez toujours la guitare, je le sais. C'est moi qui fais le ménage dans votre chambre.
— Oui. Où veux-tu en venir?
— Ben... J'ai une guitare aussi, et mon frère joue de la batterie. Au sous-sol. On pourrait peut-être...
— Oui… On pourrait. Mais je n'ai pas chatouillé une gratte depuis... presque 20 ans.
— Ça ne s'oublie pas!, a-t-il répliqué du haut de ses 15 ans.
— Si ça peut te faire plaisir.
Je me suis tourné vers mes hôtes.
— Aucun problème, a dit le mari. Ils sont fous de musique.
— Et même si je suis leur mère, je dois dire qu'ils ne sont pas mauvais du tout.
— Ok. Je suis cerné. Allons-y.

La première demi-heure fut pénible, plus pour moi que pour eux. Puis mes doigts ont retrouvé leur ancienne agilité. Et des riffs me sont revenus, des trucs anciens, mais de qualité. Et ça a donné une jam-session déjantée. Car ils étaient bons, les deux frères. Bref, ça m'a fait du bien, beaucoup de bien! On est montés se coucher à deux heures du matin, la tête pleine de notes.
— On le refera?, a demandé l'ainé.
— Peut-être, ai-je répondu. Je ne sais pas. J'ai une vie... agitée, en ce moment. Peut-être plus tard. Mais continuez, les gars ! Vous êtes bons!

Le lendemain, j'ai passé la journée chez mon oncle. Je les ai mis au courant de mon coup de téléphone au commissaire.
— Moi, j'évacue la piste cette après-midi. Et toi, Tonton, pas de vagues! Tu fais comme si j'étais passé en courant d'air, pour dire bonjour, si on te pose des questions.
— Ok, fiston. On fait donner la cavalerie?
— Exact. Surveille bien la voiture. Elle va être importante. Et… merci de l'avoir gardée!

J'ai repris mes « cours » et mes five o' scotch, mais le commissaire me tenait au courant.
Et j'étais descendu à trois scotches par soir...
J'avais demandé une seule chose au commissaire :
— Allez-y doucement.
— Pourquoi?
— D'abord, parce que ces gens ne sont peut-être pas coupables.
— D'accord. Et...?
— Parce qu'il y a un enfant, là, au milieu.
Il m'a regardé un moment. Pus il a hoché la tête :
— On va être prudents.

À partir de là, les choses ont commencé à s'accélérer. La machine judicio-policière s'est mise en marche. Le commissaire s'est arrangé avec la police locale. Laquelle est allée voir le juge d'instruction. Lequel a délivré la paperasse nécessaire, vu que de nouveaux éléments étaient apparus. Le commissaire me tenait au courant régulièrement.
— On a épluché la vie et le passé de l'ancien maire : en fait, il était parti rejoindre sa maitresse, qui n'en pouvait plus d'attendre ses étreintes fougueuses. Il a prétexté d'un congrès parfaitement farfelu; qui n'a trompé personne, pas même sa femme. Il a réapparu deux mois plus tard, les traits tirés, des valises sous les yeux, juste avant les élections. Il parait que les membres du Conseil Municipal avaient du mal à s'empêcher de rire. Ce qu'Aline a résumé en quelques mots : "Un histoire de cul. Aucun intérêt".

Une semaine plus tard, par contre :
— Là, nous avons des indices concordants. Il a disparu le lendemain de la mort de vos parents. Pendant 5 ans. Il est revenu avec un enfant. Après enquête, il s'avère qu'il a vécu avec une femme pendant ces cinq ans. Il a reconnu l'enfant, qui n'était pas de lui. Puis il est revenu avec l'enfant. Mais, en fouillant soigneusement, on a appris qu'il était absent au moment de votre... première affaire. Ainsi qu'au moment de la... deuxième affaire. Bien sûr, cela ne suffit pas pour engager des poursuites. Mais il y a là quelque chose, c'est sûr. Par ailleurs, nous avons fait expertiser la voiture de vos parents. Effectivement, les freins avaient été trafiqués... Nous continuons les recherches, aussi discrètement que possible.
— J'arrive, commissaire.
— Pardon?
— J'ai dit : J'arrive.
— Pourquoi ?
— Parce que vous n'avez aucun élément probant. Il est astucieux. Il a tout organisé pour qu'on ne puisse remonter jusqu'à lui, au moins officiellement, ouvertement et légalement. Donc, il faut remuer la cage, secouer les cocotiers, l'inquiéter en d'autres termes. Et ça, je m'en charge.
— Mais vous ne pouvez pas...
— Vous pouvez l'inculper?
— Non, mais...
— Alors, j'arrive. Point final. Je serai là-bas demain.
Et j'ai raccroché.

Et je suis arrivé le lendemain. À l'Hostellerie du Château, quartier général du commissaire et d'Aline. Comme j'étais arrivé vers midi, ils m'on invité à déjeuner, bien entendu. Le luxe, les nappes, les fleurs, les serveurs... bref, un monde inconnu. J'essayai de faire bonne figure, mais ce n'était pas mon monde...
— Ce n'est pas le mien non plus, commenta le commissaire en souriant. Aline, tu veux bien... ?
— Bon. Disons que je n'ai pas vraiment besoin de travailler. J'aurais pu épouser un cadre supérieur quelconque, et avoir une vie parfaitement futile, mais pleine de luxe.
-... ? ai-je montré, en arquant mes sourcils.
Elle a souri.
— Je vais détailler. Je suis d'une famille assez ancienne, très bourgeoise, et... très riche. J'avais 15 ans, et je m'ennuyais déjà comme un rat mort dans cette maison. L'avenir m'apparaissait déjà comme un long tunnel mortellement ennuyeux. Ces grandes pièces poussiéreuses, ces escaliers interminables! Ces repas de famille, façon fossiles. Ach ! J'ai supporté ça jusqu'à dix-huit ans. Et j'ai fui! En courant! J'avais en poche un vague diplôme universitaire, parfaitement futile. Alors, quoi faire? J’ai fait un peu de tout : j’ai posé pour des photos – habillée ! ; un peu de pose pour des peintres et des sculpteurs, qui me trouvaient… inspirante, et…
—Toujours habillée, on sait !

Elle a ricané, en rougissant un tantinet :
—Puis, J'ai pensé à l'envers de ma famille, de leurs rêves à mon sujet — femme au foyer, des enfants, une vie grise, et longue, et futile, et mortellement ennuyeuse —, et je me suis dit :
« Tiens, rien que pour les ennuyer, pourquoi pas la police? ». Ma mère a eu une quasi-syncope, et mon père a laissé tomber sa tasse de thé quand je leur ai annoncé. Un des plus grands moments de ma vie ! Bref, me voilà policière. Et ça me plait!
Elle a sourit, et j'ai relancé :
— Oui, mais... cet hôtel... c'est hors de prix?
— Oui et non. Car j'ai une fortune personnelle, qui me vient de mes grands-parents, et sur laquelle mes parents n'ont aucun pouvoir. Ils aimeraient bien, pourtant... Tous les mêmes, je pense, ces grands bourgeois, qui prétendent mépriser l'argent, mais tendent des doigts crochus vers tout ce qui peut passer à leur portée. Elle a ricané, et conclu :
— Bon, si on parlait d'autre chose?
— D'accord, a dit le commissaire. Pourquoi êtes-vous venu?, me demande-t-il. On était convenus...
— La donne a changé. Il se peut que ce soit lui. Il faut faire bouger les choses. Oui, je me répète, mais je ne vois pas d'autre voie.
— Ça veut dire quoi, faire bouger les choses?
— Je vais aller le voir.
— Quoi (un duo stupéfait).
— Je vais aller le voir.
— Vous délirez. (Aline).
— Hors de question. (le commissaire)
Je me suis surpris à rire (Tiens, ça faisait longtemps, ça aussi.);
— Et vous pensez m'en empêcher comment?
— Mais...
— Non. J'y vais demain matin. Je vais l'appeler, pour le prévenir. Et j'y vais seul.
— Pardon? Le commissaire écarquilla les yeux.
Aline se tapota la tempe de l'index :
— Dément. On rêve.
— Non, vous ne rêvez pas.
— Vous plaisantez?
— Pas du tout. Il y a un enfant, là-dedans. Vous voulez lui faire prendre des risques, avec une intervention... « musclée»?
— Vous... C'est vous qui dites ça?
— Là n'est plus la question. Vous voulez prendre le risque?
— Non!
— Problème réglé.

Un long silence.
-... Ok. Occupez-le. On le surveillera par les fenêtres.
— Comment s'appelle l'enfant?
— Olivier.

J'ai appelé Grambier, avec le machin-chose portable.
— M. Grambier?
— C'est moi. Voix rauque, dure.
— Jacques Guerland à l'appareil.
— Quoi?
— Oui, le fils de Lucien et Suzy.
Silence à l'autre bout, puis :
— Qu'est-ce que vous voulez?
— Vous voir et vous parler. Je serai chez vous demain matin à 10 heures.
— On n'a rien à se dire!
— Oh si! Je crois que si. À demain. Bonsoir.
Et j'ai raccroché.
— Vous êtes complètement fou! a lancé Aline
— Bof! J'ai été pas mal mou depuis un certain temps, alors, je vais changer la première lettre du mot. On verra bien...

Sa maison se trouve un peu à l'écart du centre, au bout d'une rue impersonnelle, qui se finit en cul de sac. À dix heures, j'arrête ma voiture devant chez lui. Je sais que les deux policiers suivent de loin. Je sors, enlève ma veste, retrousse mes manches, et retourne mes poches. Je sais qu'il m'observe. ll saura au moins que je ne suis pas armé.
« Allez, bonhomme, au turf! »
Je sonne. Pas de réponse. J'ouvre la porte. Un grand salon. Tenu par un homme, donc pas mal désordonné. Il est en face de moi. Soixante ans environ, l'âge qu’auraient eu mes parents, à peu de choses près. Cheveux gris, mâchoire carrée, les traits tirés, les yeux largement cernés. À ma droite, près de la fenêtre, l'enfant : cheveux noirs, bouclés, un visage ovale, des yeux qui me fixent.
Je montre mes poches retournées.
— Je suis venu pour parler.
— De quoi?
— Je voudrais comprendre.
— Y a rien à comprendre!
— Pour moi, si. Pourquoi?
Son regard est devenu quasiment hystérique, passant de l'enfant à moi, et aller et retour. Il a pivoté vers le plan de travail,  a ouvert un tiroir et s'est retourné, un pistolet dans chaque main. J'ai levé les mains, ai montré mes poches retournées. Du coin de l'œil, j'ai vu l'enfant écarquiller les yeux, puis commencer à se déplacer. Non, il glisse. Oh! Très lentement... Il cherche à se rapprocher de moi. Bon, faut distraire l'homme.
— Pourquoi?
— Je les hais! Et je te hais!
— Vous l'aimiez, elle. N'est-ce pas?
— Oui.
— Mais vous l'avez tuée...
— Oui.
— Donc vous ne l'aimiez pas. Vous vouliez juste qu'elle soit à vous, sans plus! La possessivité, ce n'est pas l'amour, rien à voir. Je prends des risques, là. Il pourrait tirer d'instinct.
— Imbécile ! Tu ne comprends rien!
— Alors, expliquez-moi.
Et l'enfant se déplace toujours, très lentement. Futé, ce garçon. Il a compris ce que je fais, et il glisse, les yeux fixés sur son père. Je reprends :
— Expliquez-moi.
— Rien. Inutile. Tu ne sais pas ce que c'est que l'amour. Tu n'as jamais aimé personne.
— Ah? Qu'en savez-vous?
— Parce que je t'ai observé, toutes ces années, idiot. Jamais une femme, rien!
— Et alors? Ce n'est pas parce que je n'ai jamais couché avec une femme que je ne suis pas capable d'aimer.
— Non? À ton âge! Et il a eu un ricanement grotesque. Mais il a tourné la tête vers son fils, ainsi qu'un des pistolets.
— Stop!
L'enfant s'est figé, à un mètre de moi.
Le père a repris :
— De toute façon, on va en finir, ici et maintenant.
J'ai vu son doigt frémir sur la gâchette du pistolet braqué sur son fils. À moi, mes réflexes! Je bondis, plaque l'enfant au sol, et le recouvre. Un coup de feu. J'ai pris une balle, ça, c'est sûr. Dans la cuisse.  Une vitre éclate. Encore un coup de feu. Je tourne la tête. L'homme s'affaisse lentement. La porte enfoncée, les deux policiers se ruent. Un autre coup de feu. Il vient de se tirer une balle dans la tête...
Je me relève, en essayant de ne pas hurler. Maudite balle. Je prends l'enfant dans mes bras, en détournant sa tête vers la fenêtre. Blême, les yeux écarquillés, raidi par la peur.
— Viens, mon gars, il faut sortir. Non! Ne regarde pas.
Il est en état de choc.
— Il... Il a voulu... me tuer?
— Peut-être.
— Il ne m'aimait pas?
— On en parlera plus tard, d'accord?
Je me suis trainé dehors. Il haletait, tremblait. Aline l'a pris dans ses bras, et lui a murmuré des choses, des paroles, avec des sourires, en le serrant fort. Enfin, il s'est mis à pleurer. Ça a duré une demi-heure. Les voitures de police s'accumulaient dans la rue. L'ambulance arriva. Et puis les représentants de la « justice »... Bref, ça commençait à devenir surpeuplé, dans le secteur.
J'ai appelé le commissaire :
— On peut l'emmener?
— Où?
— Chez mon oncle. Je lui ai donné l'adresse. Je me suis tourné vers l'enfant :
— On va t'emmener chez mon oncle, en attendant la suite. Tu verras, c'est un type sympa. Et ma tante cuisine hyper-bien.
— Pourquoi pas chez vous? Vous m'avez sauvé, non?
Sait ce qu'il veut, le loustic.
— Pour l'instant, je ne peux pas.
— Pourquoi?
Aie!
— Parce que j'ai moi-même des... affaires à régler d'abord. Mais je peux te promettre une chose : dès que ces affaires seront réglées, je ferai tout ce que je peux pour que tu puisses venir chez moi.
— Tout? Son regard, verrouillé sur le mien...
— Tout.
— Promis?
— Juré.
Il m'a tendu la main. Que j'ai serrée. Un contrat...
Et quand vous avez un contrat, que se passe-t-il si vous ne l'honorez pas? Simple : en vous regardant dans le miroir le matin, vous vous trouvez dégueulasse. Pourvu que vous soyez honnête avec vous même, bien entendu.

L'ambulance nous a emmenés chez mon oncle, qui a souri au garçon, et l'a fait asseoir, sans rien dire. Enfin, si :
— Bienvenue, mon gars. Tu es ici chez toi, si tu le veux.
— Merci... En attendant de partir avec lui.
Et il m'a montré du doigt. Mon oncle a souri à nouveau :
— Bien sûr. Tu veux un chocolat, un coca?
— Heu... Un coca, je veux bien.

En sortant, Aline me regardait, l'air perplexe.
— Pourquoi...
— Vous voulez l'envoyer dans un orphelinat? Pas moi.
— Je comprends. Et elle a eu un drôle de sourire.

On est reparti avec l'ambulance. Fallait bien que je me fasse enlever cette maudite balle...

Le commissaire m'a appelé dans la soirée.
— C'était bien lui. On a trouvé les vêtements qu'il portait ce soir-là... Entre autres... Et...
— Aucun intérêt pour moi, Commissaire. C'est vous qui menez le bal, à partir de maintenant.
— D'accord. On se reparlera bientôt. Je vais m'en occuper!
A suivre…
Hervé

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Commentaires
A
ne manquez pas la prochaine séance en fin d'aprem...
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