Marlène Tissot...'héroïne d'une histoire noire...'
Photo de Marlène, Londres...
Tu ne veux pas entendre parler de lui, je le sais, dit Mary. Mais il faut tout de même que je te raconte le commencement...
C’était un jour de semaine, à l’heure où les bureaux dégueulent de l’humain fatigué et stressé. Le ciel s’est brutalement obscurci. Des nuages noirs zébrés d’argent déboulaient comme un bataillon de soldats. Ils ont lâché sur la ville plusieurs semaines de pluie de retard. Les gens se sont mis à courir en se protégeant avec un journal, un sac à main, un col relevé. Il y a eu un éclair puis, presque immédiatement, un coup de tonnerre retentissant. Une vieille dame a crié, un chien a aboyé, une voiture à pilé, trop tard, emboutissant le pare choc d’une autre auto. Tout le monde fuyait. Tout le monde jetait des regards inquiets, comme si l’univers risquait de basculer dans le chaos au moindre faux pas.
Je m’étais abritée là dès les premières gouttes, face à une vitrine de lingerie. J’observais le reflet flou de la rue superposé aux culottes en soie. Toute cette agitation. Toute cette pluie qui tombait. Puis j’ai vu le type approcher dans mon dos. Il portait un imper à ceinture et une longue frange mouillée collait à son front. Il est resté un moment derrière moi avant de poser la main sur mon épaule. Mary ? il a demandé. J’ai hoché la tête en frissonnant puis, je me suis retournée. Le visage de cet homme ne me disait rien. Il n’avait l’air ni bon, ni mauvais. Juste inconnu. Dans d’autres circonstances, j’aurais été surprise qu’il connaisse mon prénom. J’aurais posé des questions. Je me serais méfié. Mais pas ce jour-là. Ce jour-là, j’étais prête, tu comprends ? Ça n’avait rien à voir avec lui ni avec l’orage. J’avais simplement décidé de devenir une autre personne.
Comme je ne disais rien, l’homme a murmuré en approchant son visage du mien : ce que je vais te raconter en ferait trembler plus d’une, mais pas toi. Toi, tu es intrépide !
Je lui ai souri. Ce jour-là, j’avais décidé de devenir l’héroïne d’une histoire noire.
Marlène Tissot