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VITDITS ET AGLAMIETTES
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Vous venez d'atterrir sur le blog d'AGLAMIETTES où sévissent Aglaé, Thomas et Dan.

Chez nous, vous trouverez des textes courts, des aphorismes pas toujours très sérieux, des réparties dites VD, ou « Vitdit » pas vraiment classiques, mais, autant que possible humoristiques.

Laissez-nous un commentaire si vous avez le temps et l'envie.

Les commentaires sont accessibles sous chaque post de nos auteurs.

Une réponse vous sera adressée (sauf caprices de l'informatique toujours possible) !

vitdits-ecran

Participez sous la rubrique : « Le Plumard » réservée à nos amis et invités.

A bientôt !

5 janvier 2016

PEPITO...'Ma Maman...(une horreur vous verrez!)

kirchner

 

 

Ma Maman.

 

 

 

Ma Maman est très belle.

Même que c’est la plus belle des Mamans.

Même si des fois, aussi, elle se met en colère.

Quand ça va arriver, je le vois tout de suite. Elle fronce les sourcils, elle serre les mâchoires, son visage devient dur et elle me regarde avec des yeux tout glacés… Alors, elle me fait un peu peur…

Mais ça n’arrive pas très souvent.

Depuis trois mois que j’habite dans sa maison, elle vient maintenant me voir presque tous les jours. Elle sait que mon mal s’est encore aggravé. Elle dit que c’est pas de ma faute, que je n’y peux rien, que tout va bientôt s’arranger, mais en vrai, je sens qu’elle est un peu fâchée.

Je fais des efforts pourtant. Dès que j’entends le bruit de ses talons dans le couloir, je m’assois sur le bord du lit, je cache mon masque, je fais semblant de regarder la télévision, de m’occuper avec mes Legos, ma console ou un autre jouet…

Si elle reste pas trop longtemps, il n’y a pas de problème. Surtout si je lui dis que je vais bien. Mais si sa visite dure...

Comme j’ai peur de tousser, au bout d’un moment je ne parle plus. Elle doit trouver mon silence bizarre, alors elle se penche vers moi, elle me prend par le menton, elle me relève la tête. Moi je continue de regarder par terre. Parce que dès qu’elle me touche, j’ai le cœur qui bat trop fort et presque à tous les coups je fais une crise.

Quand ça arrive, ma Maman ne me prend jamais dans les bras. Elle a trop peur de me faire mal. Elle préfère appeler l’infirmière. Elle pense que l’infirmière s’occupe mieux de moi, mais moi je l’aime pas l’infirmière. Quand elle court vers mon lit pour voir ce qui va pas, elle a toujours des yeux tout ronds. On dirait mon poisson rouge, qu’est mort en lâchant plein de bulles.

- Oh, Mathis ! Mon pauvre Mathis !...

Quand enfin elle trouve le masque, qu’elle le pose sur ma bouche, que l’oxygène commence à soulager mes poumons, elle regarde discrètement vers ma mère. Je n’aime pas la grimace qu’elle lui fait, comme si c’était la faute à Maman. Ça dure pas longtemps, c’est si rapide que je suis le seul à le voir.

Je crois bien que l’infirmière, aussi, a peur de Maman.

 

***

 

Roulé en boule, Klong attend patiemment que cesse la grêle de coups. En neuf ans d’existence, il a eu maintes fois l’occasion d’éprouver sa méthode de défense. Chercher un coin pour s’adosser, replier ses jambes sur son torse, se protéger la tête avec les bras et… attendre. Découragés ou fatigués, les assaillants finissent tôt ou tard par se lasser. Ce coup-ci, Petit-gros et sa troupe semble plus motivés que d’habitude. Il est vrai qu’un départ de l’orphelinat n’est pas monnaie courante. Alors ça se fête.

Klong a appris la nouvelle quelques jours après la visite médicale, un point de repère comme un autre. Juste que le clan de Petit-gros, aussi, l’a appris ce jour-là. Depuis, chaque fois qu’ils le croisent hors de vue des surveillants, c’est le même rituel.

Klong s’en moque. Pendant que les autres se défoulent à coups de poings et de pieds, lui rêve à sa maman qu’il va bientôt rejoindre, là-bas, dans son joli pays. Comme les vrais enfants que l’on voit à la télé, lui aussi, va bientôt avoir une maman.

De la femme qui l’a mis au monde, il n’a rien, pas même une idée. Dans les histoires, inventées par des gens qui ne savent pas, les bébés abandonnés ont toujours une chaîne autour du cou ou un bout de papier avec leur prénom épinglé au lange. Lui a simplement été déposé sur un tas de vieux cartons, le cordon à l’air, dans l’arrière-cour d’un immeuble. C’est d’ailleurs ce qui lui a valu son prénom, l’employé de l’état civil chargé de lui inventer un patronyme avait beaucoup d’humour. Jusqu’à lui donner pour prénom le bruit métallique d’un couvercle de poubelle que l’on referme.

 

***

 

C’est rigolo, quand je suis en train de jouer, les adultes pensent que je vois pas ce qui se passe autour de moi. Ce matin, tout en pianotant sur ma console, j’écoute l’infirmière pépier au téléphone. Pour se faire mousser auprès de son dernier amoureux, elle lui décortique mon cas. Entre deux séries de « ce pauvre petit », elle lui explique ce qu’est la… dyskinésie ciliaire primitive, qu’elle appelle DCP histoire de se la jouer pro. « ... une malformation rare des poumons qui n’arrivent pas à évacuer le mucus chargé de bactéries. Du coup le moindre microbe aspiré s’installe dans son organisme. Ce pauvre gosse est resté depuis sa naissance dans une institution de luxe, mais son cas a été pris en charge trop tard et… »

Je sais beaucoup de choses sur ma maladie. Je sais évidemment que c’est grave et chaque jour, le mal que me fait le kiné en me dégageant les bronches est là pour me le rappeler. Mais écouter cette idiote raconter mon mal à un inconnu, ça c’est vraiment trop.

Pour ne plus l’entendre, je me lève discrètement, emporte, au cas où, la petite bouteille d’oxygène et je pars en exploration de l’autre côté.

Normalement, je n’ai pas le droit de me promener dans cette aile de la maison. Maman m’a expliqué que c’est pour mon bien, qu’il est dangereux pour moi de croiser des visiteurs, qu’ils peuvent me transmettre un germe ou un truc comme ça… Alors, depuis des semaines, je me promène en cachette.

La maison est immense, elle me fait penser à un château de contes de fées, avec tours, salles immenses, long corridors et… caves humides. L’infirmière m’a dit un jour, qu’avant, elle appartenait à mon grand-père. C’était un moyen de montrer sa richesse et sa puissance, d’impressionner ses clients et adversaires. J’ai pas bien compris ce qu’elle voulait dire…

A force d’explorer tous les couloirs, j’ai fini par me trouver un petit coin secret, un placard où sont rangées des piles de vieux documents. En bas de la paroi du fond, une grille d’aération communique avec le bureau de Maman. Sans qu’elle s’en rende compte, je l’entends respirer, marcher, parler au téléphone ou à ses visiteurs… Je suis juste à côté d’elle.

Lors de ma première expédition, au détour d’un couloir, je suis tombé sur Diago, son garde du corps. Il m’a filé une de ces trouilles ! Je suis resté paralysé en le voyant, persuadé qu’il allait m’attraper avec ses grosses mains et me ramener dans ma chambre, ou pire, à Maman. Au lieu de ça, il m’a regardé dans les yeux une seconde, m’a fait un imperceptible signe de tête et a détourné le regard. Depuis, à chaque fois que je le croise, c’est la même chose. C’est drôle, je me sens plus copain avec un grand costaud à la tronche de méchant qui ne m’a jamais dit un mot, qu’avec cette dinde d’infirmière chargée de me soigner.

Je suis arrivé jusqu’au réduit sans croiser personne. J’entends des voix dans le bureau. Je me cale le plus discrètement possible près de la grille. Maman reçoit quelqu’un, en me penchant, je peux voir ses jambes et celles de son visiteur.

- … vos problèmes ne m’intéressent pas, je vous ai juste demandé de me confirmer une date.

- Allons, ma Chère, ne vous énervez pas. Nous avons découvert l’enfant que vous recherchiez. C’était la partie la plus difficile. Maintenant il ne reste que quelques formalités à accomplir. Je ne doute pas de finaliser rapidement. J’ai juste besoin d’un peu plus de temps… et d’argent. Les frais pour ce genre de transactions… sont souvent plus élevés que prévu… comprenez-vous ?

Il laisse sa phrase en suspens et attend… sûr de son effet.

Le silence se prolonge, plus un bruit ne me parvient du bureau. Ce gars-là ne connaît pas bien ma Maman. À la position de leurs pieds, je devine ce qui se passe dans la pièce :

Derrière son bureau elle s’installe dans une position plus relax et lui ne peut s’empêcher de trouver, encore une fois, qu’elle est très belle. Un silence s’installe... et se poursuit. Les yeux de ma Maman sont plantés dans ceux du gars. Elle, elle reste aussi immobile qu’une statue, tandis que, lui, commence à se tortiller nerveusement sur son siège. Quand elle reprend la parole, seules ses lèvres bougent.

- Dites-moi, Cher ami, chercheriez-vous à faire de moi votre ennemie ?

De l’autre côté de la cloison, j’entends l’homme déglutir. La réputation de ma Maman doit lui revenir en mémoire. Plus une parole ne franchit ses lèvres, il arrive tout juste à faire non de la tête.

Le silence se prolonge, encore, puis elle reprend la parole. Lui se remet à respirer.

- Tant mieux, je vous préfère raisonnable. Comme vous avez encore beaucoup à faire, je ne vous retiens pas plus longtemps.

En se retournant pour sortir du bureau, le gars tombe nez à nez avec Diago. Celui-ci le toise calmement, mains croisés dans le dos, sans faire le moindre geste. Le visiteur doit faire le tour de son impressionnante carrure avant de franchir la porte.

Il fait ensuite quelques pas dans le couloir, passe devant ma cachette, j’ouvre discrètement la porte dans son dos. Comme il s’éloigne, la mine dépitée, je l’entends murmurer « Saleté de bonne femme ! »

Je suis le seul à l’entendre.

J’attends qu’il tourne vers le hall d’entrée et je repars vers ma chambre en pensant à ce que je viens d’entendre. Alors c’est donc ça, Maman a trouvé un autre enfant pour me remplacer… Je suis triste, bien sûr, mais pas vraiment en colère contre elle. D’après ce qu’a dit l’infirmière à son copain, je ne vais pas durer bien longtemps.

 

***

 

Des années plus tôt, dans la même maison.

Cela fait maintenant une quinzaine de jours et toujours rien, pas le moindre signe. Comment être sûre ? C’est pourtant une question de bon sens, si cela marche pour le rat cela doit aussi fonctionner pour le porc… il suffit d’ajuster la dose.

Devant le grand miroir de sa chambre, sans bouger les pieds, elle tourne légèrement sur elle-même, ausculte sa silhouette à chaque va-et-vient. La proéminence de son ventre est devenue une évidence.

Elle fronce les sourcils et se dirige vers son lit. De sous le matelas elle extrait un sachet plastique aux couleurs criardes. La cachette est simplette, trop même, pour qu’il ait l’idée de fouiller là. C’est l’heure de la préparation. Elle sort cinq petits triangles du sachet et, à l’aide d’une cuillère à café, les écrase consciencieusement sur un coin de sa table de chevet. Quand elle a obtenu un petit tas de poudre homogène, elle le fait glisser dans un mug et range le reste du sachet sous le lit. En se relevant, un dernier regard dans le miroir lui tire une grimace. Elle soupire, ferme des yeux une seconde et sort de la chambre.

L’eau arrive à ébullition, elle la verse délicatement par-dessus le sachet de verveine, diluant la poudre au fond du mug. Quand tout est bien mélangé, que la verveine a infusé, elle se dirige vers le salon. La télévision distille le brouhaha confus des informations.

Elle entre dans la pièce, il tourne vers elle un visage souriant, aux yeux cernés, aux lèvres lippues.

- Ha, merci ma fille, tu es une gentille petite… Gentille et si jolie dit le gros homme en prenant le mug.

 

***

 

Le clac qu’a fait l’attaché-case en s’ouvrant m’a réveillé. Pas bien malin de s’endormir dans le placard, mais la nuit a été difficile. Les quintes de toux m’ont fait si mal que j’ai cru que j’allais m’étouffer pour de bon. Puis, vers le matin, c’est passé.

Dans le bureau de Maman, le gars à l’attaché-case parle avec un drôle d’accent. Tout en feuilletant une liasse de papiers, il se lance dans des explications pressées.

- Voyez, nous avons épluché tous les documents sans découvrir la moindre faille. Comme votre… culpabilité était évidente, même si elle n’a pas entrainé de condamnation vu les circonstances, les avocats de votre père n’ont eu aucun mal à invoquer l’indignité successorale. Par la suite, vous exhéréder et faire de l’enfant son légataire universel a été facile. D’autant que, dans ses derniers instants, votre père ne s’y est pas opposé.

- Je sais déjà tout cela, merci. Avez-vous plutôt une solution à me proposer ?

- Etant la mère d’un enfant mineur, vous êtes de fait sa gestionnaire de fortune. La seule façon de récupérer tout ou partie de votre dû, est de le faire par des prélèvements continus avant la majorité de l’ayant droit.

- Je ne vous ai pas attendu pour mettre cette solution en pratique, il semble juste que le temps va me manquer.

- Cela est gênant. N’oubliez pas que le cabinet d’avocat choisi par votre père doit s’assurer périodiquement que l’enfant est bien traité.

- Oui, mon père craignait, à juste titre, que ma fibre maternelle ne soit pas très développée.

- Le cabinet doit aussi, à cette occasion, vérifier que l’enfant est bien le fils de son père par un test ADN.

- Merci, je sais aussi tout cela, vous ne m’aidez pas beaucoup. J’avais espéré que vous trouveriez une faille légale pour me rendre l’héritage de mon père. La première échéance approche et vu son état de santé, je doute que l’enfant résiste jusque-là. J’ai d’ailleurs été obligée de prendre quelques précautions à ce sujet.

- C’est prudent en effet. Une clause du testament stipule que si l’enfant ne se présente pas ou ne satisfait pas au test ADN, toute votre… toute sa fortune sera distribuée à des œuvres caritatives.

- En soi, il n’avait pas…

Je ne comprends pas du tout de quoi ils parlent. La fatigue ne doit pas arranger les choses. Je me suis rendormi.

 

***

 

Au milieu de la nuit, quand le dortoir bruisse des respirations de ses camarades dormant à poings fermés, Klong peut enfin profiter d’un peu de tranquillité.

Assis à même le sol de la salle de bain, adossé à une rampe de lavabos, il sort discrètement le prospectus de sa poche de pyjama. Comme il est un peu froissé, du revers de la main il le plaque sur le carrelage, lui donne une meilleure allure. Il l’incline ensuite vers le réverbère dont la lumière traverse à peine les carreaux poussiéreux de la fenêtre. Tout juste de quoi lui permettre de lire le texte coloré.

C’est l’une des gardiennes qui lui a donné le prospectus, l’accompagnant d’un sourire narquois.

- Tiens, normalement ce truc est destiné aux touristes de ton futur pays. Des fois que des riches de là-bas veulent venir visiter notre misère. Ça te fera un souvenir.

Il faut croire que les autres orphelins ne sont pas les seuls à être jaloux de son sort. La gardienne sourit en coin, persuadée qu’à neuf ans, il ne sait toujours pas lire. Encore une chose apprise par expérience, pour vivre tranquille dans l’orphelinat, mieux vaut ne pas paraitre plus intelligent que les autres.

Il a pris le papier sans rien dire et l’a caché aussi vite que possible dans sa chemise. Depuis que sa bonne fortune est connue, ses camarades ne ratent pas une occasion de la lui faire payer. Inutile de leur offrir une opportunité supplémentaire de brimades.

Les images du pays qu’il va bientôt quitter ne l’intéressent pas, mais le feuillet est rédigé en deux langues. Patiemment, pendant une bonne partie de la nuit, il décortique les deux parties du texte et arrive à apprendre quelques mots dans sa future langue. Klong va pouvoir faire une bonne surprise à sa Maman.

 

***

 

J’aime bien le docteur Breuer. Je me rappelle encore sa première consultation, le jour où je suis arrivé dans la maison de Maman.

Il a sorti son stéthoscope, cherché mon cœur et n’a même pas tiqué quand il ne l’a pas trouvé. Il a juste murmuré comme pour lui-même « Ha, Kartagener… » et a déplacé son stéthoscope plus à droite sur ma cage thoracique. Sa réaction m’a impressionné, surtout en comparaison des têtes d’abrutis qu’on fait les autres docteurs avant lui.

Mais surtout, le docteur Breuer ne m’a jamais parlé comme à un enfant. Après m’avoir examiné, il m’a expliqué la situation, clairement, sans essayer de cacher que mon état n’était pas terrible. Il m’a parlé comme à un adulte. Curieusement, après cette visite, je me suis senti rassuré…

Il est passé me voir tout à l’heure, pour une « visite de routine », comme il dit. Nous avons discuté un moment de trucs et d’autres, comme à chaque fois. Curieux, j’ai parfois l’impression que je suis plus pour lui qu’un simple enfant malade, plus que le fils d’une de ses riches clientes… mais je rêve surement. Au bout d’un moment il s’est levé, m’a dit un chaleureux au revoir et est parti en direction du bureau de Maman. Le temps de me débarrasser de l’infirmière et je suis venu m’installer discrètement dans ma cachette.

De l’autre côté de la paroi, j’entends Maman aller et venir sur ses hauts talons. C’est curieux de la voir agitée, elle d’habitude si sure d’elle-même, si calme. Le docteur est en train de parler :

- … j’avoue ne pas vous comprendre. Vous n’avez jamais manifesté la moindre affection pour cet enfant et maintenant que ses jours sont en danger, vous voilà inquiète à son sujet. Bien que je ne la mette pas en doute, je suis quelque peu surpris par cette soudaine sollicitude.

Elle stoppe ses va-et-vient et se tourne vers lui.

- Cher docteur, il semble que, pour bien saisir la situation, certaines données vous manquent… Mon père n’était pas seulement un commerçant aussi avisé que peu scrupuleux, c’était aussi un immonde porc. Contrairement aux apparences, ce n’est pas d’un empire financier dont j’ai hérité, mais d’un legs beaucoup plus… personnel. Vous n’ignorez pas, je suppose, que la DCP et le syndrome de Kartagener se retrouvent souvent chez les enfants nés d’unions consanguines ?

Dans son fauteuil, le docteur Breuer décroise nerveusement les jambes, mais n’ajoute pas un mot.

- Je vois que vous comprenez mieux le pourquoi de ma relation si atypique avec cet enfant. Il est autant mon fils que mon frère et notre… père est l’homme que j’ai le plus détesté au monde.

Elle reprend ses va-et-vient.

- Mais vous n‘êtes pas là pour que je vous raconte mes états d’âme… Quand je vous ai demandé de vous occuper de Mathis, je ne vous ai pas choisi seulement pour votre réputation de pneumologue, mais aussi pour les services, disons… moins classiques, que votre clinique pouvait me rendre… D’après mes renseignements, il vous arrive de temps à autre d’effectuer quelques extractions de balles n’ayant pas grand-chose à voir avec un accident de chasse et il semble que pendant leur séjour, certains de vos clients éprouvent le désir de moins se ressembler… suis-je dans le vrai ?

Toujours silencieux, le docteur se rencogne dans son siège. Maman continue.

- Alors voilà, Père et ses avocats ont profité d’une erreur de jeunesse, un sac de mort aux rats mal dissimulé, pour me déshériter au profit de mon fils et à défaut, au profit d’œuvres caritatives. Mon père avait le sens de l’humour, comme il savait avoir semé sa descendance dans tous les coins de la planète, les bénéficiaires sont essentiellement des orphelinats. Il était facile de deviner qu’en procédant à des tests ADN dans ces mêmes établissements, nous allions tomber tôt ou tard sur un des membres de ma… famille. Pour garder la main mise sur ce qui me revient de droit, j’ai besoin de présenter un gosse ayant une ressemblance physique avec Mathis et prouver par un test ADN que l’enfant présenté est bien son fils…

Dans le bureau, le silence est complet. Au bout d’un moment, accroupi contre la grille d’aération, j’entends le docteur Breuer toussoter et reprendre la parole.

- Il n’est pas nécessaire que l’enfant soit aussi le vôtre… je suppose ?

- C’est un plaisir de converser avec vous, je vois que vous avez bien cerné la situation. J’ai un service supplémentaire à vous demander, j’aimerais que vous vous chargiez personnellement de rapatrier l’autre enfant.

- Heu… je n’ai pas l’habitude de travailler en dehors de mon cabinet. En plus je ne suis pas du tout habitué à ce genre de mission et…

- Docteur, si je vous demande ce service c’est que le passeur qui devait s’en occuper a eu un… accident. Cela vous fera le plus grand bien de voyager et vous pourrez pleinement apprécier l’ironie de la situation. Revenir avec un batârd de mon Père, héritier de sa fortune et par la même occasion, de la mienne. Du moins dans un premier temps… Bref, êtes-vous prêt à m’aider ? Vous savez que je peux me montrer très généreuse…

- Hmm, nous nous côtoyons depuis si longtemps, vous vous doutez bien que mon dévouement n’est pas motivé que par l’appât du gain. En fait je réfléchissais à l’échange des enfants… il existe peut-être une autre solution et…

Je ne saurais pas la suite. J’ai dû déranger la poussière recouvrant les vieux papiers et je sens venir une quinte de toux carabinée. Par réflexe je saisis mon masque à oxygène, j’aspire une première goulée, rien ne vient, la bonbonne est vide. Je m’éloigne silencieusement de la grille et sors dans le couloir la bouteille sous le bras. La conversation n‘est plus qu’un murmure. Au moment de fermer le réduit, une terrible toux me secoue la poitrine, la porte m’échappe des doigts et claque bruyamment. Les voix dans le bureau se sont arrêtées, j’entends des pas précipités. Une seconde plus tard Maman apparaît dans le couloir avec le docteur sur les talons. Tout en crachant une bonne moitié de mes poumons, je fais semblant de m’appuyer à la porte pour expliquer le bruit. Autant lui faire croire que je n’ai rien entendu de sa conversation…

Tout en toussant, le dos courbé par les quintes, je lève les yeux vers Maman. Je suis dans la partie interdite, elle va surement se mettre en colère contre moi. Il se passe alors une chose étrange. Elle s’approche, me prend délicatement dans ses bras, me soutient le front d’une main. Elle appuie sur le bouton du masque, comprend le problème et hurle au docteur de courir chercher une bouteille d’oxygène dans ma chambre. Puis d’une voix douce, elle me répète les exercices respiratoires pour débarrasser mes bronches obstruées.

- Souffle lentement, voilà, comme pour éteindre une bougie, maintenant souffle fort, la bouche grande ouverte en tirant la langue, inspire fort, bloque ! Recommence, souffle lentement… 

Exercices que je connais parfaitement depuis des années, je suis tellement surpris qu’elle les connaisse aussi. Le plus étonnant est que je n’éprouve aucun stress à son contact. Mieux encore, ma toux se calme plus rapidement que d’habitude, je commence bientôt à respirer normalement.

Je n’en montre rien, exagérant mon souffle rauque, ma faiblesse…

Je suis si bien dans ses bras.

Tout en me cajolant, elle fait allusion à sa discussion avec le docteur Breuer. Sa voix est bizarre, toute tremblée, elle a les yeux brillants.

- Ne t’inquiète pas mon… bébé. Tu ne vas plus souffrir, le docteur a trouvé une solution.

Voilà la fin de leur discussion, le docteur lui a proposé d’abréger mes souffrances. Vu la douleur qui me déchire encore les poumons, cela me semble une bonne idée. J’espère juste une chose, qu’au dernier moment, comme maintenant, elle me tienne dans ses bras.

 

***

 

Un petit aérodrome perdu dans la campagne, sur la grisaille des hangars délabrés, la blancheur rutilante d’un petit avion fait tache. La voiture longe la piste unique, se gare devant l’entrée d’un baraquement en tôle. L’homme assis à côté du chauffeur sort, ouvre la porte du côté de Klong. Tandis qu’il descend, légèrement ankylosé par deux heures de route, le garçon jette un œil intimidé vers son portier à l’impressionnante carrure. Déjà l’infirmière se dirige vers un portail métallique, il la suit silencieusement. La voiture repart aussitôt, n’emportant que le chauffeur. Depuis qu’ils sont venus le chercher à l’orphelinat, aucun des trois n’a prononcé le moindre mot.

Le sol du hangar est jonché de débris de toutes sortes. Juste à côté de l’entrée, au milieu d’un espace soigneusement balayé, se dresse une énorme tente cubique en plastique translucide. Intimidé, Klong suit l’infirmière à l’intérieur, passe à travers un sas à zipper et se retrouve nez à nez avec un homme en blouse blanche.

- Bonjour mon jeune ami, je suis le docteur Breuer. Je suis chargé de vérifier si tu es en bonne santé avant d’effectuer ce voyage.

Klong, un peu surpris par l’accent étranger du docteur ne répond rien. Il le regarde de ses yeux doux pas très rassuré par sa moustache. Avec prévenance, le docteur lui tend un cachet rose.

- Tiens avale çà, bonhomme, c’est un médicament contre le mal du voyage. Il ne faudrait pas que tu vomisses pendant le trajet en avion.

L’enfant observe la pilule un instant, hésite. Difficile pour l’orphelin de faire confiance au premier venu. Mais le docteur ne peut être que quelqu’un de gentil, il est envoyé par celle qui sera bientôt sa Maman. Il prend la pilule et l’avale avec le verre d’eau que lui tend l’infirmière.

De son côté le docteur Breuer détaille le gamin. Son calme l’impressionne. Il observe son visage, pense à celui de Mathis et se demande s’il sera capable de réaliser ce qui, dans le bureau de sa Mère, lui semblait être une si bonne idée…

A la demande du docteur, Klong s’allonge sur la froide table métallique. Quand l’infirmière commence à défaire sa chemise et son pantalon, il se sent étrangement tranquille, surpris, lui-même, de ne plus ressentir d’impatience. L’excitation du voyage s’est envolée, il jette un regard un peu somnolent sur le décor qui l’entoure, observant tout de son regard curieux.

Le docteur a attaché sur sa nuque un masque chirurgical. D’une voix pâteuse, Klong l’interroge.

- Monsieur, ça veut dire quoi "organes" ?

De surprise le docteur lâche presque la seringue qu’il est en train de remplir. Par-dessus son masque il jette un regard interrogateur vers Klong.

Celui-ci hoche mollement la tête en direction d’une glacière sophistiquée dépassant de derrière une armoire blanche.

- Là, sur la valise, dans la langue de ma Maman, y’a écrit : « Transport d’or…ga…nes 

 

_______________

Christian Brochin

 

 

 

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Commentaires
D
J'ai relu ce texte avec la même passion...<br /> <br /> <br /> <br /> ... et plus encore..<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Dan.
Répondre
A
J'attendais une toute autre nouvelle de PEPITO;;;<br /> <br /> <br /> <br /> CE SERA POUR DEMAIN<br /> <br /> <br /> <br /> bonsoir
Répondre
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