'Fruit Défendu'....on sait pas pourquoi'défendu' mais il est fou le Pepito!!!
Le haut du muret m’arrive à la poitrine. Ronds et verticaux, une rangée de barreaux métalliques en émerge pour aller se perdre loin au-dessus de ma tête. De l’autre côté de cette grille une ombre impressionnante me domine de toute sa masse. Elle n’a pas de visage, pas de jambes, juste une grosse bedaine. Une grosse bedaine bienveillante et deux mains. Des mains énormes, passées à travers les barreaux, avec de gros doigts boudinés occupés à dépiauter une orange sous mes yeux.
Je n’aime pas beaucoup les oranges, surtout quand elles ont leur peau. Mais, quand je regarde ce fruit maintenant débarrassée de sa gangue, je le trouve magnifique. Je n’ai toujours pas envie de le manger, mais mordre dedans sera un délice, j’en suis sûr.
L’orange m’est délicatement tendue, en équilibre sur l’extrémité de trois gros doigts. Je la saisis, elle remplit complètement ma main et déborde même un peu. La tenant à bout de bras, comme une relique, je m’éloigne de la grille, sans me souvenir d’avoir dit merci. Je fais quelques pas dans la cour, les yeux toujours rivés sur la sphère juteuse.
Soudain un cri retentit et je relève la tête.
Un rictus hideux sur la figure, à cheval sur le dos de son copain la grosse brute, le fils de la maitresse fonce droit sur moi ! Perché à cette hauteur, il est encore plus grand, plus terrifiant que d’habitude. Je reste la bouche ouverte, les yeux écarquillés, incapable de faire le moindre mouvement. Les deux affreux m’évitent au dernier moment, tandis qu’un poing fermé s’abat d’un coup sec sur ma main. Le centaure s’éloigne ensuite au triple galop tout en poussant des hurlements d’Indien. Mon orange, elle, roule silencieusement sur les graviers de la cour.
Je reste là, les yeux rivés sur le fruit délicat, maintenant recouvert d’une gangue de sable et de poussière grise. Avant que de grosses larmes ne roulent sur mes joues, je tourne la tête vers la grille de l’école. Mais l’ombre s’est déjà éloignée, sans rien voir de la fin tragique de l’orange pelée.
Ma Grand-Mère m’a souvent raconté que, pour mon Grand-Père, la présence de son petit-fils à ses côtés suffisait à son bonheur. Alors de temps à autre, pendant les récréations, il s’approchait de la grille de la maternelle pour m’amener un petit goûter, se donnant ainsi une excuse pour passer quelques instants près de moi. Peut-être sentait-il que ces moments là étaient comptés ?
Cette orange est le plus ancien de mes souvenirs, mais surtout, c’est la seule image qu’il me reste de mon Grand-Père.
PEPITO