Xavier Bordes...'Prison mentale'
Galatée
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Rassurant – tellement rassurant, lorsqu'on peut se dire qu'on a en soi tous les signes d'appartenance à un clan, à une région, à un peuple. Autrefois cela se traduisait par des costumes et des coutumes, par des patois particuliers. L'intensité de la présence de la mort, de l'Ankou qui rôde, de l'ange Azraël, de la Moire, d'Isis, d'Izanami, de Kâli, donne l'impression de faiblir quand des symboles collectivisent la solitude foncière de l'être humain.
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Primates asservis à leur tribu, ici les supporteurs d'une équipe sportive prêts à se faire tuer pour elle, là les fanatiques d'une religion, d'une «star», là encore les affidés d'une confrérie, ou d'un parti politique. Tous sont prêts, même les intellectuels et les scientifiques, à abdiquer instantanément leur libre arbitre, à le troquer contre le sentiment d'invulnérabilité, d'éternelle jeunesse et d'immortalité qui plane sur les vastes messes collectives.
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Le reste du temps, hors manifestations ostensibles entendons, le sentiment d'appartenance leur suffit. Il conditionne toutes leurs pensées, toutes leurs réactions, tous leurs jugements. Pour eux le monde s'est changé en pour et contre, comme s'il s'agissait de pour la vie contre la mort. La moindre contrariété les voit vilipender violemment le contradicteur le plus doux et le plus raisonnable. Leur peur de mourir domine leur réalité.
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En face de cela, hors les murs, observant les choses depuis son exil, se trouve celui qu'on dit poète. Seul, il ne consent pas à hurler avec les loups, à aboyer avec les cynocéphales, à se plier aux idées si confortables de la mode, aux discours par lesquels la société se rassure contre ce qui la mine, y compris au cimetière rassemblée autour du goupillon ou de l'édile. Le poète sait ce que sont les mots. Même la menace d'un fusil ne lui fait pas prendre les vessies pour des lanternes.
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La mort est sa compagne de toujours. Trop terre à terre, le poète n'a pas assez d'imagination pour se faire peur avec des fantasmes d'après. Il sait qu'il n'existe pas d'autres paradis que cette vie-ci, dont les humains terrorisés, à force de vouloir ce paradis, de s'ingénier à se l'assurer pour eux d'abord et pour leur clan, finissent par tenter d'anéantir tous les autres clans, les autres partis, les autres peuples, les autres religions qui pourraient, tout ou partie, le leur ravir.
De ce paradis, qu'il entrevoit malgré tout au-delà de toutes leurs manigances destructrices, le poète constate que les bipèdes, avec une ingénieuse virtuosité mariant le réel au fictif, font systématiquement un enfer.
Xavier Bordes
Calliope