Le jeune Flaubert à Ernest Chevalier...15 Mars 1842...
Exhortation à la désobéissance sociale et à l’évasion.
Fais des farces la nuit, casse les réverbères, dispute-toi avec les cochers du fiacre, langotte les décrotteurs, socratise le chien, foire dans les bottes, pisse par la fenêtre, crie merde, chie clair, pète dur, fume raide. Va dans les cafés, fous le camp sans payer, donne des renfoncements dans les chapeaux, rote au nez des gens, dissipe la mélancolie et remercie la Providence. Car le siècle où tu es né est un siècle heureux, les chemins de fer sillonnent la campagne, il y a des nuages de bitume, et des pluies de charbon de terre, des trottoirs d’asphalte et des pavages en bois, des pénitenciers pour les jeunes détenus et des caisses d’épargne pour les domestiques économes qui viennent y déposer incontinent ce qu’ils ont volé à leurs maîtres. M. Herbert fait des réquisitoires et les évêques des mandements, les putains vont à la messe, les filles entretenues parlent au moins de morale, et le gouvernement défend la religion. Ce malheureux Théophile Gautier est accusé d’immoralité /…/, on met en prison les écrivains et on paye les pamphlétaires. Mais ce qu’il y a de plus grotesque c’est la magistrature, qui protège les bonnes mœurs et les attentats aux idées orthodoxes. La justice humaine est d’ailleurs pour moi ce qu’il y a de plus bouffon au monde, - un homme en jugeant un autre est un spectacle qui me ferait crever de rire, s’il ne me faisait pitié…
A Ernest Chevalier, Rouen, le 15 mars 1842 (20 ans).