Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
VITDITS ET AGLAMIETTES
VITDITS ET AGLAMIETTES
Publicité
Archives
Derniers commentaires
VITDITS ET AGLAMIETTES
Newsletter
0 abonnés
Visiteurs
Depuis la création 355 438
Vous y êtes !

Vous venez d'atterrir sur le blog d'AGLAMIETTES où sévissent Aglaé, Thomas et Dan.

Chez nous, vous trouverez des textes courts, des aphorismes pas toujours très sérieux, des réparties dites VD, ou « Vitdit » pas vraiment classiques, mais, autant que possible humoristiques.

Laissez-nous un commentaire si vous avez le temps et l'envie.

Les commentaires sont accessibles sous chaque post de nos auteurs.

Une réponse vous sera adressée (sauf caprices de l'informatique toujours possible) !

vitdits-ecran

Participez sous la rubrique : « Le Plumard » réservée à nos amis et invités.

A bientôt !

19 décembre 2012

A l'infirmerie de la Maison d'Arrêt...Le Havre....1973...bonsoir et à dem!!!

Les trois derniers inscrits de la matinée ne sont pas les pl

prison

us désagréables à recevoir. Ce sont les habitués de l’infirmerie . Dans une maison d’arrêt comme celle du Havre, le service médical est un endroit rare où un détenu est accueilli poliment et presque amicalement.

            J’ai un excellent profil pour ce poste. Quarante-deux ans, un peu de bouteille, une image de mère pour certains, de maîtresse pour d’autres, de sœur énergique pour tout le monde.

            Tous ceux qui se font inscrire à la geôle la veille au soir, peuvent venir à l’infirmerie le matin, sous un prétexte même très mince.

La porte de l’infirmerie reste ouverte. Un maton est en faction dans le couloir. Le premier détenu entre, c’est Morin, je le connais.

_Bonjour Morin

_Bonjour Madame.

_Qu’est-- ce qui ne va pas ?

_Toujours pareil.

_ Vos dents ?

_Mes dents . Et aussi, je dors pas. Et je peux plus bouffer la merde qu’on nous refile. Et je vais finir par crever si ça continue. Vous verrez.

_ Restons dans le domaine du possible, Morin . Je peux soulager vos douleurs de dents et prescrire un somnifère qu’un surveillant vous donnera ce soir. Pour le reste, je vous fait remarquer que les petits moyens sont souvent les meilleurs pour tenir le coup. Vous allez tous les jours à l’atelier, et tous les jours au sport ?

_Oui

_C’est bien. La bibliothèque ?

_J’en ai marre des livres .

_ça arrive à tout le monde .Vous avez vu votre avocate ?

_ La gourde ? merci bien, j’ai refusé de la voir hier.

_A tort, Morin, à tort. Il faudra bien arriver à le boucler ce dossier.

_Hier j’aurais pas pu.

_Faudra pouvoir demain. Vous dormirez mieux si vous faites face à ce que vous ne pouvez pas éviter. Votre sœur est venue vous voir ?

_Pas venue. Je m’en fous d’ailleurs.

_Ecrivez- lui un petit mot . Elle est peut-être malade

_Peut-être

_Elle vient régulièrement d’habitude ?

_Oui…oui … je vais peut-être écrire un mot…. Au revoir Madame.

_Vos cachets Morin, pour vos dents, vous les oubliez. Inscrivez-vous pour demain, je dirai que j’avais besoin de vous revoir.

_D’accord.

 

Le jeune homme qui entre à son tour dans la pièce, s’appelle Didier Bérel. Il a vingt ans et c’est la troisième fois qu’il est  emprisonné chez nous.

C’est un peu difficile à croire, mais quand Didier Bérel entre à l’infirmerie, la première chose que nous faisons, c’est de nous regarder en riant. C’est un état de chose qui remonte à la première fois où nous nous sommes vus, à l’infirmerie, le lendemain de sa première incarcération. J’avais une fiche qui me disait succinctement pourquoi il était ici : cambriolage, mais je n’aurai jamais su les détails si Didier lui-même ne les avait racontés.

Il s’était introduit, pendant la nuit, dans une villa inhabitée pendant des vacances. Muni d’une torche électrique, il avait visité chaque pièce, cherchant les objets précieux, pas trop encombrants : argenterie, bijoux, statuettes, deux bougeoirs en or, bref une jolie récolte. Le tout entassé dans deux sacs de jute sobres et maniables.

Assez content de son coup, Didier sur le point de partir, dégotte, pour arroser sa bonne fortune, une bouteille d’apéritif, du Bourbon en l’occurrence, et se sert généreusement un, puis deux, puis trois verres bien tassés. Dégustation rapide, enfoncé dans le meilleur fauteuil du salon.

Les policiers qui faisaient leur ronde de nuit, ayant remarqué le portail entrouvert, sont entrés dans la maison et ont cueilli, Didier Bérel, profondément endormi entre ses deux sacs de jute.

Depuis ce premier récit et bien que la prison ne soit pas une rigolade, Didier et moi ne nous rencontrons pas sans une amorce de fou rire.

 

Mon client suivant, cinquante ans, longiligne, débile léger est un pyromane. Il n’est pas malade. Il se plaint d’avoir un bouchon de cérumen dans l’oreille et d’entendre mal. Moi seule, et lui peut-être, connaissons la vérité de cette curieuse maladie.

Il vient pour que je lui dise gentiment de s’asseoir. Je pose un linge blanc sur son épaule. Je remplis de sérum physiologique une grosse seringue ;je penche sa tête très doucement et j’instille un peu du liquide dans le conduit auditif. J’attends deux minutes et je renverse la tête pour que le sérum s’écoule. J’essuie doucement les dernières gouttes sur son visage.

Je n’ai jamais vu la moindre parcelle de cérumen sortir de cette oreille. Mais il revient tous les mois. Ce petit soin est un secret entre nous, soin inutile mais nécessaire.

 

 

L’homme de quarante ans qui entre ensuite, porte un manteau boutonné jusqu’au cou. La peau de son visage est grise et il regarde droit devant lui. La veille, il a été incarcéré à la Maison d’Arrêt et un surveillant de l’administration pénitentiaire, comme le règlement le prescrivait, l’accompagne jusqu’à la porte de l’infirmerie

Sur mon bureau, quelqu’un a déposé une fiche un carton orange, sur laquelle figurent un nom et un prénom, Debris Denis. Il ne répond pas à mon bonjour.  Je lui demande confirmation du nom et du prénom, il hoche la tête, sans prononcer un mot. Je l’interroge de nouveau pour savoir, comme il m’en est fait obligation, s’il suit un traitement habituel pour un diabète ou une maladie épileptique ou autre chose. Il fait un signe négatif. Je lui dis aussi que la visite médicale aurait lieu vendredi, que le médecin s’appelle le docteur Gérard, mais que les détenus peuvent venir à l’infirmerie quand c’est nécessaire, à condition de se faire inscrire la veille sur une liste prévue  à la geôle. Je lui précise que la geôle est cette grande pièce grillagée entre le quartier cellulaire et l’endroit où étaient regroupés l’infirmerie, le bureau des avocats et l’accès aux parloirs. Je lui dis:

_Avez-- vous quelque chose à me demander ?

Il ne répond pas et sort sans un «  au revoir ».

 

En allant fouiner du côté des bureaux administratifs, je récolte dans la journée, quelques renseignements sur mon client taciturne. Il avait été arrêté à trois heures du matin dans la nuit de samedi à dimanche après avoir poignardé d’un seul coup de couteau un homme d’une trentaine d’années. Le registre est aussi laconique que le détenu est taciturne et je n’apprends rien d’autre ce jour là.

 

Le mercredi matin de la même semaine, Debris revint à l’infirmerie. On lui avait enlevé son manteau et donné le pantalon habituel de la maison, sans ceinture. Son teint était resté terreux et une idée me vint qui se confirma  : cet homme était arrivé chez nous avec une gueule de bois énorme, et deux jours après, il lui en restait encore des séquelles. Je l’interrogeai : » pourquoi avait-il demandé à venir à l’infirmerie ? « . Il me dit qu’il n’avait pas dormi du tout depuis quatre jours. Voulait-il un somnifère ? Il me dit  oui. Je dissous un comprimé dans une petite bouteille d’eau comme le prescrit le règlement . Il la met dans sa poche.

 

Au moment où il va s’en aller, je dis : »Monsieur Debris ? « 

    _Oui ?

     Avez vous vu votre avocat ?

    _Il vient tout à l’heure.

   _C’est bien. Vous pourrez parler….Avoir des nouvelles….

   _Oui, c’est surtout ça…

   _Bien sur….Au revoir

  _Au revoir Madame.

 

 

    Après son départ, je réunis les éléments dont je dispose. Cet homme de quarante ans a poignardé un autre homme plus jeune, d’après le registre des entrées. Ce crime a été commis sous l’emprise de l’alcool, j’en suis persuadée. Un peu plus tard dans la journée une infirmière du bloc opératoire m’apprend que la victime, un docker de trente- huit ans, est mort sur la table d’opération, deux heures à peine après avoir reçu le coup de couteau, un opinel très ordinaire qui  a presque tranché l’aorte. La plaie sur la peau était minuscule, située à cinq centimètres à droite du nombril. Dès l’ouverture du péritoine le chirurgien à trouvé un abdomen rempli de  sang. Le repérage de la blessure aortique devint impossible. Après quelques minutes, l’anesthésiste a dit à mi- voix : »inutile de continuer, il est mort » ; le chirurgien et son aide ont recousu les tissus dans un silence profond.

 

Le vendredi matin, le contact avec le médecin de la prison est très mauvais. Debris répond par monosyllabes aux questions, et le pauvre docteur Gérard n’est pas très adroit, ni avec les détenus, ni avec personne. A cette occasion, j’apprends que notre homme est propriétaire d’un bistrot assez sympa, le Henri V, je vois très bien où c’est, dans le centre-ville, qu’il ouvre son café tous les jours  de dix--neuf heures à deux heures du matin .

 

Le jour de la visite, il a une tension très élevée et il doit venir chaque matin me voir pour faire une courbe pendant quinze jours consécutifs.

 

Pendant ces quinze jours-là, sans poser de questions, je comprends beaucoup de choses. Il parle peu mais chacune de ses paroles est lourde de sens. J’aime assez ce genre d’homme-là.

Il a une femme et une petite fille de cinq ans. Jeune homme, il a mené une vie de patachon et il a beaucoup bu. S’ensuivaient chaque fois les bagarres et le chômage. Depuis dix ans, sa vie a complètement changé. Il a rencontré sa femme ( il ne dira jamais son prénom) ils ont eu une petite fille, Alice, il avait acheté le Henri V en faisant un gros emprunt , et depuis les affaires marchent bien.

 

_Et vos problèmes d’alcool ?

-Abstinence totale depuis mon mariage. J’avais fait tellement de conneries avec ça…

-Revenez demain pour votre tension, Debris 

 

Oui, bien sûr.

 

Le lendemain, je l’ai trouvé presque loquace. Son avocat lui avait fait raconter par le menu toutes les heures qui ont précédé  le drame. Ce docker, c’était qui pour lui ? Presque rien, un client, qui venait depuis quelques mois boire l’apéritif le soir. Il le trouvait sympathique. Ils avaient de vagues copains en commun. Un jour, il a eu besoin d’argent. Pas énorme. Un million de centimes. Une mise de fond pour un commerce de fruits et légumes. Docker, il en avait marre. Il aurait tenu ça avec sa copine.  «  Il y a six mois, je lui ai prêté cette somme, ce n’était plus grand chose pour moi. »

 

«Faites attention …Le surveillant dans le couloir….soyez prudent….je vous reverrai demain pour votre

tension. »

 

Le lendemain, j’ai appris le reste. Le docker n’a jamais pu rendre l’argent. Mais , toutes les semaines il disait : » Je te les rends samedi, cette fois c’est du sûr. Prépare l’apéro, c’est moi qui régale. » Ce soir-là, le fameux samedi, il a même dit : »Je les ai dans la poche, te fais pas de souci, tu vas les revoir tes picaillons, et tu sers une tournée générale… »

 

 

_ » Je suis désolée Debris, vous ne pouvez pas rester là plus longtemps. On m’a déjà fait des réflexions à cause de vous…à demain »

 

J’ai facilement deviné le reste. L’argent n’était pas dans la poche du docker et la tournée générale s’est prolongée tard dans la soirée. Didier Debris qui n’avait pas touché une goutte d’alcool depuis dix ans, a oublié dix ans d’abstinence après le premier whisky. Ils ont bu dans la rigolade, puis les autres clients sont partis. Quand on a reparlé de l’argent, nos deux picoleurs étaient déjà déchirés. J’imaginais facilement, l’alcool, la bagarre, la colère, la fatigue. Comment et pourquoi le docker a-t-il sorti l’opinel, on ne le saura jamais, l’un était mort ; l’autre incapable de se souvenir, ivre pendant des heures. Et moi, je crois, ivre pendant des jours.

 

Un an après, eut lieu le procès de Denis Debris, aux Assises. Dix ans ferme. Ces années-là, on ne les purge pas dans une Maison d’Arrêt comme celle-ci mais dans une prison centrale.

Je l’ai vu la dernière fois la veille de son procès. Sa femme qui a veillé sur lui pendant toutes ces années là avait eu la permission de lui apporter un pantalon , une veste de velours côtelé noir et une chemise blanche à col ouvert. Je ne l’ai jamais vu aussi beau que ce jour là.

Aglaé Vadet

 

Publicité
Publicité
Commentaires
F
Hors circuits "institutionnels", je me suis occupée de jeunes délinquants. Un en particulier, trés dur. Aprés quelques mois d'approche, il venait à la maison, y était chez lui.<br /> <br /> Un jour j'ai du partir de façon impromptue.<br /> <br /> - Tu ne fermes pas à clef ? <br /> <br /> - Pourquoi faire ? Tu es chez toi.<br /> <br /> - Et si j'appelle mes potes et qu'on te vide la maison ?<br /> <br /> - C'est ton problème, pas le mien: une télé, quelques meubles, c'est quoi dans une vie ?<br /> <br /> L'important n'était pas de savoir ce qu'il avait fait, mais de lui faire confiance, de lui redonner l'estime de lui-même, de ne plus le traiter en exclu.
Répondre
A
En lisant ton com je me souviens de tout en effet!<br /> <br /> C'était très bien aussi d'animer des ateliers d'écriture en prison...Charlie CHarlès l'avait fait et en gardait un sacré souvenir!
Répondre
I
je m'en souviens bien de ces souvenirs de toi et que je t'avais parlé après les avoir lus de François Bon, un écrivain qui a animé des ateliers d'écriture en prison et écrit sur les gens avec beaucoup de respect<br /> <br /> <br /> <br /> bise <br /> <br /> isa
Répondre
A
J'avais perdu ce texte là depuis des années et je le retrouve, par hasard, avec Google sur un site quitté depuis belle....Ecrits-Vains....au poil!
Répondre
Publicité