Jean Barbé..."Endormissement"...aquarelle de Jean...
Suze
Chaque soir quand tu me regardes
D'un céruléen lenticule
Je revois le marais que farde
Le bleu ballet des libellules
Mais l'air dans les joncs au violon
Shéhérazade pour des prunes
Déjà le jour a des frissons
Et l'est est mouillé par la lune
La polaire étoile parfois
D'un diamant craque l'allumette
Qui d'un point reste brûler là
Dans l'exophtalmie des rainettes
Les canards verts en cancanant
Tirent des stores sur la mare
Où je ne vois plus me penchant
Que des rides dans mon miroir.
Elle est là l'angoisse des soirs
Dans les premiers cris des chevêches
Quand le ciel teinte à l'encre noire
Les cumulus de crème fraîche
Et moi perdu qui tends les bras
Tâchant de ralentir leur course
En espérant que sous les draps
Ne se révelle la Grande Ourse
Mais rien n'y fait-peau de chagrin-
Peu à peu baisse la lumière
Et des korrigans un par un
Viennent me coudre les paupières
Puis la nuit me prend sous son loup
Pour me demander à l'oreille
Si la vie vaut vraiment le coup
Et me momifier de sommeil
Pourtant j'emporte en m'endormant
L'eau de source de tes yeux pers
Comme lorsque j'étais enfant
Le chant de ma mère qui me berce
Et si je ne sais où je vais
J'y vais du moins sans reculade
Le lumignon de ton marais
Donne du cran à ma bravade
Ô! ne t'endors pas la première
La nuit qui vient me cherche noise
Laisse encore un peu ta lumière
Quand le vent remue les ardoises
Garde du jour dans ton regard
Une veilleuse sur mes rêves
Dans l'aquarium aux cauchemars
Un rai qui me tient à la grève.
Jean Barbé