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VITDITS ET AGLAMIETTES
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Vous venez d'atterrir sur le blog d'AGLAMIETTES où sévissent Aglaé, Thomas et Dan.

Chez nous, vous trouverez des textes courts, des aphorismes pas toujours très sérieux, des réparties dites VD, ou « Vitdit » pas vraiment classiques, mais, autant que possible humoristiques.

Laissez-nous un commentaire si vous avez le temps et l'envie.

Les commentaires sont accessibles sous chaque post de nos auteurs.

Une réponse vous sera adressée (sauf caprices de l'informatique toujours possible) !

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Participez sous la rubrique : « Le Plumard » réservée à nos amis et invités.

A bientôt !

8 juillet 2011

Aglaé Vadet...'Georges, mon beau frère...'

 souvenir 

  Vingt trois ans, encore quelques cheveux, sous la toise un mètre soixante six, à son bras, une femme ravissante, la sienne, ma sœur Mado. C’est ainsi que je l’ai connu. Aussi bien dans sa peau qu’un Apollon, amateur de bonne vie et de bonnes rigolades, chaleureux, entreprenant des projets épatants aussi bien que des conneries sublimes, il fut mon meilleur copain jusqu’à mon mariage.

 

Notre première rencontre m’avait pourtant laissé un souvenir pénible. Lui et ma sœur venaient de faire connaissance comme directeurs d’une colonie de vacances, au Pays Basque, en mille neuf cent quarante deux, et moi, dix ans je faisais partie de la piétaille. Arrivée depuis trois jours j’étais déjà sans voix, ou plutôt, j’émettais, comme une pochtronne un peu précoce, des sons rocailleux et assourdis. Après m’avoir écoutée gentiment, Georges s’est tourné vers ma sœur et lui a dit :  « D’où est-ce qu’elle sort celle-là avec sa voix de mêlé-casse? ». Réponse  « C’est ma sœur ».

 

De retour à Paris, alors que ma sœur restait sur place dans le midi pour inventorier le matériel, elle me confia à Georges. Très fière d’être reconduite chez mes parents par le chef, je le fus encore davantage de l’entendre me dire :  « Nous nous reverrons bientôt ». Cette formule gentille et ambiguë masquait à peine ses espérances au sujet de ma sœur.

 

Ils se marient en mille neuf cent quarante quatre, à St Cloud, où la mère de Georges était directrice d’école maternelle. Deux pièces, à l’intérieur de l’école, seront aménagées pour le nouveau couple. Premier logement, première bagarre, vol plané de l’alliance et de la bague de fiançailles à travers la pièce.

J’ai oublié le motif déclenchant mais je me souviens de l’énorme rire du beau- frère. Je devais l’entendre souvent. A St Cloud, je découvre une autre facette de son caractère : nous plier, ma sœur et moi, à ses coups de cœur successifs avec obligation de nous réjouir de cet esclavage et de l’adorer autant que possible. Cette année-là, sous prétexte de nous faire apprécier Péguy, il nous fit subir de longues lectures à haute voix, jusqu’à l’anéantissement complet du public. D’autant que Péguy à dix heures du soir, quand on a douze ans, ça vous liquide en moins de deux.

 

A Louis le Grand, où il avait terminé ses études, Antoine Blondin fut son copain. Blondin bégayait et avait eu cette idée merveilleuse : placarder dans le hall du lycée, une affiche proclamant :

Vous savez parler

Vous pouvez bégayer

Cours par Antoine Blondin

Tous les jours à 17 heures

Grâce à cette anecdote, Georges me fit aimer, à la folie, l’auteur de « Un singe en hiver » « Monsieur Jadis »  « Entre les Lignes » « Certificat d’Etudes » etc... Chez lui, je découvre pour la première fois ces styles nerveux et sans déchets, restés ceux que je préfère. Sa paresse et son manque d’hygiène de vie obligeaient son éditeur à le boucler trois semaines dans un hôtel bien surveillé, pour obtenir un manuscrit. D’après Georges, il avait une écriture d’enfant, ronde et régulière, sans ratures. Mon beau-frère était un dingue de littérature, un fou de livres, une somme de références. Je n’avais qu’à puiser.

 

Tout en préparant une licence de droit, il apprend, sous la férule de son père, le beau métier d’imprimeur. Les papiers, l’encre (qu’on appelle la colle en jargon du métier) les lettres, les petites cases du typographe, le marbre des lithogravures, tout vous rapproche des livres et jusqu’à l’odeur pénétrante de l’imprimerie elle-même.

 

Avec une mise de fond très modeste, il achète en viager à Madame C. devenue veuve, une très petite imprimerie, sise Rue Bobillot. Il fallait descendre trois marches pour entrer, les locaux s’organisaient autour d’une verrière, grâce à laquelle on pétait de froid l’hiver et de chaud l’été. Entouré d’une sacrée équipe, de très beaux travaux allaient se faire ici, des affiches célèbres, des lithos modernes, et les programmes du T.N.P. que Jean Vilar venait chercher lui-même, sans oublier de donner deux places pour un spectacle à Chaillot à Georges et Mado.

 

La mère C. vécut vingt ans de plus que Georges et ma sœur lui a versé chaque année jusqu’à sa mort, à quatre vingt douze ans, une importante somme d’argent qui lui manqua terriblement pour élever ses enfants. Dure loi du viager.

 

Ténors du baby-boom, notre gentil couple mit au monde, sans difficultés apparentes, quatre enfants en quatre ans. Je m’interdis de commenter pareille folie, mais vous pouvez me croire, on en a lavé des couchettes. L’appartement de Saint Cloud, trop petit depuis longtemps, toute la famille déménagea à Sceaux, dans une vaste et vieille maison, entourée d’un jardin très fouillis comme je les aime.

 

En bricolos du dimanche que nous étions, la maison resta à peu près dans l’état où nous l’avions trouvée, mais nous eûmes tout de suite une bibliothèque superbe. De temps en temps, Mado décidait qu’il fallait absolument ranger les livres, car on ne s’y retrouvait plus du tout… alors, on mettait tout par terre et on s’asseyait au milieu. On feuilletait. On s’interpellait pour lire à haute voix un petit passage bien savoureux. On riait. On passait une fin de semaine charmante et les bouquins restaient à terre pendant un mois ou deux.

 

A cette époque là, j’avais quatorze ans ou presque. Georges décida d’emmener ma sœur voir les Impressionnistes au Musée d’Art Moderne. Je les suis, bien entendu.

 

Dimanche après dimanche, j’apprends à voir. Des tableaux, des dessins, des couleurs, des styles, des noms. Nous restons là une heure ou deux. Pas Plus. J’ai le mal des musées. Là, et nulle part ailleurs, je m’initie à ce qui constitue l’art de la peinture : ni un objet qui fait joli au-dessus du buffet de tante Agathe, ni une réussite technique dont la perspective serait la loi incontournable, ni une recherche de ressemblance avec une quelconque réalité. Georges me forme à l’essentiel sans grandes phrases. Il me montre le tableau de Magritte qui représente une pipe, seulement une pipe. Sous la pipe, une inscription de la main du peintre : « Ceci n’est pas une pipe ». Ceci n’est pas une pipe ? Non. Seulement le dessin d’une pipe. Un tableau n’est jamais rien qui appartienne à la réalité. Il est uniquement un tableau, seulement des lignes et des couleurs. Il n’a pas besoin d’être conforme à la réalité. Il suffit, comme toujours en art, de créer une émotion. Peut-être en trois coups de crayon noir, comme Picasso, ou les graphismes gigantesques de Matthieu, la légèreté de Dufy , la tendresse de Chagall, etc… Botero dit : « Ma peinture n’a aucun compte à rendre à la réalité »

Nos balades à trois du dimanche matin dépendaient de la présence d’Huguette qui non seulement gardait les enfants mais maternait aussi ses patrons. Dans ma famille, j’ai toujours connu ce genre de femme, un peu nurse, un peu cuisinière un peu confidente. Je crois aujourd’hui qu’on en abusait tellement sa vie faisait partie de la nôtre. Quand ses patrons l’avaient vraiment fait tourner en bourrique, elle se plantait sur le pas de la porte pour les regarder partir et elle disait  « Au revoir, au revoir, et ne revenez jamais… » et on était morts de rire.

De cette relation avec Huguette, sont nées beaucoup d’autres avec les hommes et les femmes qui ont travaillé chez moi et pour moi. Ce n’est pas un paternalisme de mauvais aloi. Plutôt une façon d’être heureux les uns avec les autres quelle que soit la place qu’on occupe dans une équipe. Chacun reste libre de ses initiatives et respecté quoiqu’il arrive. Ce n’est pas la moindre des choses que j’ai apprises grâce à Georges et Mado.

 

Un grand moment de nos vies était le repas du dimanche midi. Dans la semaine, tous les trois bien occupés, on bouffait un peu n’importe comment. Mais, le dimanche matin, après un conseil de guerre pointilleux, le livre de cuisine d’Edouard de Pomiane nous fournissait quelques recettes, particulièrement le Veau Marengo, je m’en souviens, car nous trouvions à la page 148, criblée de sauce tomate, le texte et les échantillons. L’ennui, c’est que nous ne démarrions pas avant onze heures du matin et que nous tenions à faire nos courses Rue Mouffetard, en bons parigots. Retour à Sceaux vers quatorze heures, on pouvait espérer se mettre à table à l’heure du goûter des enfants. Notre gourmandise aidant, nous préparions une trop grande quantité de tout. Georges était le plus doué pour cette démesure gourmande. Un jour il acheta des framboises superbes et un kilo de crème fraîche, mais nous touchâmes à peine à l’énorme saladier où les fruits, moitié écrasés par un touillage vigoureux, nagèrent tristement dans une bouillie rose de crème liquéfiée. Il me semble bien que nous ayons également zigouillé des coquilles St Jacques au Chablis, mais je dois dire que tout le Chablis n’avait pas seulement servi aux coquilles ce jour-là.

 

Les départs en vacances tenaient du folklore. Les bagages préparés, placés dans la voiture ou arrimés sur la galerie, on baignait les enfants la veille au soir et on les couchait de bonne heure. Mado et moi raffinions nos toilettes, poils superflus, cheveux, tout y passait. Dîner calme et souriant comme il se doit. Nous nous attardions encore un peu après le dîner, la nuit tombait, il fallait se coucher. Hé bien non, justement, on n’allait pas se coucher. Georges sortait de sa panoplie un regard bleu ravageur et déclarait : « Au fond, si on partait tout de suite. On arriverait à La Baule au petit matin, un bon bain, un petit déjeuner de compétition… et on se reposera dans la journée… on est en vacances, que diable ». Et nous, bonnes pommes, on acquiesçait.

 

Les enfants endormis, portés doucement dans le vieux break 403, nous gais comme pinsons et rafraîchis par la tombée de la nuit, les premières heures du voyage me laissent le meilleur souvenir. Les choses se gâtèrent vers trois heures du matin. Georges gara la voiture sur le bord de la route. Il descendit se dégourdir les mollets, remonta dans la voiture et nous prévint : «  J’ai un petit coup de pompe. Pas grave. Je me relaxe un peu, et on repart. Les bras croisés sur le volant, la tête sur les bras, il s’endormit pendant deux heures. Les enfants se réveillèrent, demandèrent un petit déjeuner qu’on n’avait pas prévu, dans l’euphorie du départ. Les deux plus jeunes avaient copieusement inondé les couchettes, l’odeur générale relevait assez exactement de la bétaillère. Mado et moi, nous étions fatiguées, énervées, et affamées. En attendant le réveil du chauffeur, nous avons dégotté un petit bistrot d’ouvriers, en pleine campagne, qui ouvre tôt le matin, où le patron un peu interloqué devant ces deux parisiennes et leurs quatre moutards, nous servit un café au lait tiédasson. Dans la voiture, Georges était réveillé mais tout le monde se sentait sale et faisait preuve de mauvaise humeur. Nous étions à trois cents kilomètres de La Baule. Nous y arriverons au milieu de la matinée, les enfants attendirent de nous la bonne journée de vacances promise la veille, et nous nous sommes traînées, Georges, Mado et moi comme des zombies jusqu’au soir.



Aglaé





 

 

 

 

 

 

 

 

………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..

 

Ma sœur Mado, toujours présente dans nos équipées, mérite à elle seule un détour. Un été où Georges s’était entiché de bateaux à voile, après une initiation intensive et rapide aux aléas maritimes, les voilà en route avec des amis, pour une courte croisière. Il fait beau. Mado se tient sur le pont du Ketch, la gauloise vissée entre les lèvres, comme d’habitude. Un mouvement du barreur ou un caprice du vent, projette durement la bôme d’un bord sur l’autre, et ma sœur au terme d’une voltige disparaît dans le sillage du bateau. Cet incident classique est toujours un peu inquiétant pour les témoins. Dieu merci, ma sœur refait surface. Soulagement des spectateurs, suivi d’un énorme rire de Georges et des autres. Le mégot de la cigarette ramolli, dégoulinant, dégoûtant, innommable n’a pas bougé d’un iota d’entre ses lèvres.

 

Leurs querelles de ménage étaient affreuses. Plus encore pour nous que pour eux. Elles prenaient naissance dans un prétexte très mince.

-        Mado, la carte de visite posée sur la petite table de l’entrée, c’est quoi exactement ?

-        C’est pour la directrice de l’école des enfants.

-        Ah oui… A quel sujet ?

-        Pour lui dire que les enfants n’iront pas à l’école samedi matin, puisqu’on part en vacances vendredi soir.

-        Tu lui écris ça sur une carte de visite ?

-        Ben oui. C’est bien fait pour écrire, les cartes de visites…

-        Oui. Mais pas pour écrire ça…

-        Comment ?

-        Tu ne peux pas écrire ça sur une carte de visite.

-        Et pourquoi au juste ?

-        Parce que c’est particulièrement mal élevé, pour ne pas dire pignouf.

-        Selon toi, qui sait tout, qu’est ce que je dois faire ?

-        Une lettre.

-        Une lettre ?

-        T’as bien entendu, une lettre. Et bien torchée en plus. Tu sollicites une permission particulière pour deux enfants, tu dois donc t’excuser de….

-        Georges, arrête tout de suite. Je suis aussi capable que toi et peut être plus, de savoir ce que je dois faire pour MES enfants et je ne vais pas me laisser emmerder à huit heures du matin pour une histoire de carte de visite ou de pas de carte de visite.

 

A partir de là, c’était parti. Chacun d’eux hurlait de plus en plus fort des arguments de plus en plus spécieux. Les enfants pleurnichaient et moi je prévoyais de ne pas digérer mon petit déjeuner. Ils pouvaient monter jusqu’à un niveau de méchanceté et d’horreurs inqualifiable. De vieilles querelles remontaient à la surface. Les accusations mensongères qui englobaient à l’occasion, les familles et belles familles terrassaient de tristesse les témoins éventuels.

 

Si la scène de ménage avait lieu le soir, chacun finissait par aller se coucher. Le lendemain, chose curieuse, nos deux ostrogoths réconciliés sur l’oreiller, se levaient frais et dispos. Au contraire, nous autres les témoins, frères, sœurs, ou parents, tous mal à l’aise et fatigués nous pensions que, cette fois, on ne leur pardonnerait jamais.



Aglaé

Post Scriptum

la mort de Georges nous a déchirés en deux. Il était arrivé à Saint Véran accompagné de sa femme et d'une de ses filles, Marie Hélène, avec le projet minutieusement préparé de bonnes et belles marches en montagne. Le soir même, ils s'étaient un peu engueulés parce que les randonnées prévues se présentaient comme fatiguantes pour les deux femmes. On verrait ça demain.



Il n'y eut pas de demain. A minuit, il se plaignit d'un très violent mal de tête et réclama un antalgique. Dès ce moment, il ne prononça plus une seule parole. Mado, bouleversée,réveilla les patrons de l'hôtel. Une ambulance emporta Georges à l'hôpital de Grenoble. Il était dans le coma...Ne reprit jamais connaissance???L'assistance respiratoire fut débranchée le lendemain.



Nous nous retrouvâmes tous à Paris le jour suivant par une chaleur de 15 Aout. Il est enterré au cimetière de Massy et aucun d'entre nous ne lui rend visite bien souvent. Nous avons rangé le sac à dos de ses vacances que personne sauf lui n'avait touché. Depuis des années il souhaitait posseder de belles chemises de drap taillées sur mesure. Elles étaient là, toutes neuves, une bleue et une rouge. Et, enfouis entre elles, une dizaine de citrons. Georges diasait toujours qu'il ne faut pas oublier d'emporter des citrons pour la soi quand on part marcher en montagne.



Aglaé

 

 

 

 

 

 

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