Où l'on prend conscience des débordements de La Hurette! Qui l'eût cru ?...
LES 10 PLUIES DE NORMANDIE
Vous avez tous entendu parler des 10 plaies d’Egypte, mais connaissez-
vous les 10 plaies de Normandie ? Ou tout du moins devrais-je dire les
10 pluies de Normandie !
Ecoutez le pénétrant témoignage d’Ermann Ormand, qui endura jour après
jour et simultanément une plaie après l’autre et finit par périr d’un
accès fulgurant de potomanie au crépuscule de son récit. En voici le
contenu, retrouvé par miracle hermétiquement encapsulé dans une
bouteille d’eau minérale, échouée sur une plage du débarquement.
« La Normandie, ce beau pays qui m’a pourri la vie… Mais avant
d’entrer dans le vif du sujet, un petit rappel géographique : comme
son nom l’indique, ma Normandie se situe non seulement au Nord, mais
aussi à l’Ouest, ce qui lui permet de jouir à la fois des cochonneries
de Bretagne et des perturbations de Grande-Bretagne. Ici, pas de
répit : après la pluie, le mauvais temps et pas d’espoir de lumière au
bout du tunnel. Impossible de fuir ce funeste destin de mouillette et
d’échapper aux diverses patheaulogies qui l’accompagnent : goutte,
sale cataractère ou dépression en cascade.
Mais voyons plus en détail ces 10 pluies et leur cortège de plaies
collatérales.
1. Je naquis un jour de déluge à Biville-La-Baignarde, petite commune
bien arrosée du Pays de Caux. Ma mère, gonflée comme une outre, se mit
soudain à glouglouter et perdit les eaux entre averse et
précipitation. Etait-ce un signe du destin si j’héritais de celui –
zodiacal - du poisson ? Toujours est-il que je me retrouvais équipé de
doigts palmés, à la grande stupéfaction de mes parents qui mirent
cette particularité sur le compte d’une mutation génétique : par chez
nous la pluie dure, drue et persistante, imperturbable et diluvienne ;
il pleut des cordes ou comme vache qui pisse, il tombe de l’eau, il
flotte ou bien il vase. La première chose que l’on m’apprit tout
bézot, avant de me jeter avec l’eau du bain : « Tais-toi et nage ».
Mais qu’avons-nous fait à Zeus, dieu de la pluie, pour qu’il rassemble
ainsi les nuages sur nos têtes ? Quel péché sulfureux avons-nous
commis pour mériter telle pénitence ? Souffrerait-il d’incontinence
chronique quand il survole notre région, véritable pot de chambre ?
Ici, seules les grenouilles sont à la fête. Et aussi les limaces, que
ma grand-mère faisait macérer dans l’eau de vie pour concocter un
sirop contre le mal de gorge.
2. Le crachin arrosa le jour de mon baptême. Il crachinait ainsi
depuis quarante jours et quarante nuits, impitoyablement. Mon père,
qui n’était pas né de la dernière pluie et souffrait de trouble
eaubsessionnel compulsif, se chargeait de construire un sous-marin
dans la cave, tandis que le curé, d’humeur suintante et fortement
imbibé, faillit me noyer dans le bénitier qui débordait. J’en conçus
une aversion phobique pour tout milieu aqueux et priais le ciel de
m’accorder le pouvoir magique de marcher sur les eaux. Malgré mon
jeune âge, j’attrapais la spongioarthrite crachineuse. D’une capacité
couvrante exceptionnelle et doté d’une force de persuasion
incontournable, le crachin transperce corps et coeurs jusqu’à
extinction totale de la moindre étincelle. Sournois et sadique, mine
de rien, il va vous ronger le plus brave des crainpaleau jusqu’à l’os.
Pénétrant, il vous détrempe le ciboulot en un rien de mauvais temps et
après lui le déluge.
3. La grisaille baigna mon enfance. A l’école primaire, on nous
enseigna pourquoi nos ancêtres, qui pourtant n’étaient pas des poules
mouillées, craignaient que le ciel leur tombe sur la tête. Pas
étonnant avec ce couvercle permanent qui plane sur nos ciboulots et
nous plonge dans la pénombre perpétuelle. Ici, tous les chats sont
gris, la Seine est gris bleu et la mer vert de gris. À force de nager
constamment entre deux eaux, ma mère plongea dans la mélancolie et se
répandit en lamentations, pleurant sur son sort de pauvre moisie ;
elle racontait partout des histoires d’eau croupie à vous tirer des
larmes de Jeanne d’Arc. Cette débâcle n’arrangea pas l’équilibre
familial déjà houleux. Je fus alors assailli de symptômes peu
ragoûtants qui sourdent intérieurement comme l’énurésie ou autre flux
de ventre, tellement imbibé que j’en vins en dernier recours à boire
de l’antirouille en guise de remède contre les gargouillis.
Pour sûr, celui qui inventerait le soleil en bouteille ferait fortune
en Normandie !
4. D’une intelligence limitée par l’horizon bouché, je n’arrivai pas à
obtenir mon diplôme de plombier, malgré des heures d’études à tenter
de résoudre des problèmes de robinets. Mon sommeil était traversé de
cauchemars de baignoires qui n’en finissent plus de fuir et d’hydres
tentaculaires qui m’engloutissaient dans l’abîme des profondeurs. En
bref je pédalais dans la gadoue et j’en avais plein les bottes.
Impossible d’échapper à cette bouillasse existentielle ! On la ramène
à la maison collée aux semelles et paf ! on se prend une bonne trempe
pour la peine. La boue laisse des traces sombres sur les vêtements
clairs et des traces claires sur les vêtements sombres, hantise de la
ménagère la plus endurcie. Elle est aussi la cause de dérapages
incontrôlés, de glissades au fond du précipice, d’effondrements de
terrains et de moral, d’où la célèbre expression de « trou normand ».
Ici, le calva coule à flots, il faut bien se consoler avec les pommes
qu’on a, faute de bol !
Et pour lutter conte le syndrome soupaulait des habitants de Seine-
Maritime, le Conseil général – qui nous a affublés du joli nom de «
Seinomarins », a adopté cette devise d’un goût vaseux :
« Pluie du matin n’arrête pas le Seinomarin ».
5. Pour résister à l’humidité ambiante, je me réfugiais souvent au
troquet troglodyte du coin « Chez Mimile Sabord ». C’est là que je
rencontrai ma future ex-femme, Ondine : une vraie sirène, nageuse de
compétition et dotée d’une fontaine miraculeuse qui me chavira corps
et âme. Nous convolâmes par un temps éprouvantable et malgré le dicton
« mariage pluvieux, mariage heureux », notre union tourna rapidement
en eau de boudin : elle me trouvait ennuyeux comme la pluie et
s’enfuit au premier remous avec un homme grenouille, une sorte de rat
de marée. Inconsolable, je pleurais toutes les larmes de mon corps
dans la serpillière qui me servait de doudou. J’hésitai ensuite à me
reconvertir en pisciniste ou météorologue, mais fus déclaré inapte par
la médecine du travail pour cause de ramollissement méningé.
6. À mi-vie, je me crus enfin sauvé des eaux à l’annonce du
réchauffement climatique. Enfin une bonne nouvelle ! J’allais pouvoir
faire trempette sans grelotter dans la Manche, me dorer la blême
carcasse sur la plage ou encore me rincer la dalle aux terrasses de
cafés. Enfin, je ne serai plus obligé de me mettre à poil devant les
tomates du jardin pour les faire mûrir. Enfin, les femmes pourraient
porter des tenues légères en été sans se cailler les miches. Mais
voilà encore un paradoxe aquatique et de source sûre (issu de
scientifiques/climatologues, c’est vous dire !) : plus la planète se
réchauffe, plus la Normandie se refroidit. Ici, la canicule n’existe
pas. Pourquoi, me direz-vous ? parce que le Gulf stream. La migration
des icebergs détachés de leur mère calotte vient perturber le sens
giratoire de ce courant océanique qui tempère nos côtes. Catastrophe !
encore un espoir qui tombe à l’eau… D’ailleurs qui ne connaît pas les
fameux ciels à la Boudin, notre célèbre peintre régional qui a initié
Monet aux nénuphars ? Ces ciels représentatifs de notre décor habituel
ne donnent hélas pas envie d’y monter. Je préférais me livrer à la
débeauche, histoire de gagner mon enfer où, au moins, il fait beau et
chaud, comme dans la célèbre contrepétrie.
7. Le brouillard aussi me rendait paraneau. On prétend que le Normand
n’a pas inventé l’eau chaude, mais comment voulez-vous découvrir quoi
que ce soit sans visibilité et avec un cerveau embrumé ? Comment avoir
le sens de l’orientation quand on n’a pas de points de repères ?
Comment se distinguer quand on passe inaperçu ? Je me sentais comme
une sorte d’ectoplasme qui se dissout dans le décor. La confusion me
grignotait à petit feu, vu que je n’y voyais plus goutte et ne
reconnaissait même pas mon chemin pour rentrer à la maison. Le manque
de lumière me détraqua la photosynthèse et me priva de toutes ces
bonnes vitamines dont le Sud regorge ; résultat : un teint d’endive,
une mine de navet, des poches sous les yeux larmoyants et une odeur
tenace de moisi, ce qui, vous l’admettrez, n’incitait pas les naïades
à me tuyauter.
8. La tempête de l’an 2000 fut la goutte qui fit déborder le vase. Je
ne surnageai pas à la rupture de canalisations qui engloutit ma
modeste demeure, malgré les fortifications amphibies érigées suivant
la méthode du castor junior. Je sombrais dans une dépression abyssale
diagnostiquée comme hydrophobie par le médecin spécialiste en maladies
subtreaupicales. J’entamai alors une thérapie incertaine qui
consistait à chasser les angoisses en répétant à chaque intempérie
psychique : « Je suis un canard étanche, je ne me noie pas dans un
verre d’eau », et en dormant dans un lit bateau, sanglé dans un gilet
de sauvetage. Je suivis un régime sec à base d’aliments déshydratés et
de boissons en poudre, fréquentai les cabines à U.V. et subis une cure
de désinteauxication à Amélie-Les-Bains. C’est là qu’on nous apprit
une méthode comportementaliste forte utile : tirer la chasse d’eau
pour vider le trop plein mental.
9. « Sale quart d’heure, les mouches pètent », disait mon petit frère
Marceau quand la météo tournait à l’orage. Eau rage, eau désespoir !
C’est lors d’une expédition de pêche aux bulots que je fus
sournoisement frappé par la foudre. Un électrochoc jaillit de mes
pieds palmés et, en pleine lévitation, je crus un instant que mon vœu
de marcher sur les eaux était exaucé… Puis plus rien. Quand je me
réveillai, tout était blanc, sec, chaud, calme, lumineux et inconnu.
Avais-je enfin atteint le paradis ? Ou bien avais-je été téléporté
ailleurs, dans une contrée plus potable ? Un homme en blanc s’approcha
de moi et m’expliqua que j’avais réchappé de peu à l’hydrocution, et
qu’il fallait attendre quelques jours que je dégonfle avant de se
prononcer sur les éventuelles séquelles à marée basse.
10. Je n’attendis pas la décrue et décidai de me jeter à l’eau. Une
nuit de grain, je pris la poudre d’escampette et décidai de partir
vers le Sud. Il me suffisait de grimper dans le sous-marin à pédales
fabriqué par mon père et de me laisser porter par le courant. Ensuite,
ça coule de source, suivre la côte vers le bas. Si j’avais perdu le
Nord, au moins il me restait ma boussole. Adieu, ma Normandie ! Une
seule certitude me baigne : jamais je n’irai te revoir…
À ce jour, Ermann Ormand a totalement disparu de la circulation. Nul
ne sait s’il réussit à satisfaire sa tentation d’une île, s’il périt
englouti par un tsunami ou bien dévoré par un monstre pélagique. Quoi
qu’il en fût, qu’il repeause en paix…
——
Sylvie Huret