Molière!...piqué sur le Net... pourquoi pas? 0 :-)...
« Les Femmes Savantes » ...Une petite scène...Philaminte, la maîtresse de la maison vient de congédier Martine la soubrette.......... Chrysale, le mari, cherche à comprendre la raison de ce renvoi...
Chrysale
Aussi
fais-je. Oui, ma femme avec raison vous chasse,
Coquine, et votre
crime est indigne de grâce.
Martine
Qu’est-ce
donc que j’ai fait ?
Chrysale
Ma foi !
Je ne sais pas.
Philaminte
Elle est d’humeur
encore à n’en faire aucun cas.
Chrysale
A-t-elle,
pour donner matière à votre haine,
Cassé quelque miroir ou
quelque porcelaine ?
Philaminte
Voudrais-je
la chasser, et vous figurez-vous
Que pour si peu de chose on se
mette en courroux ?
Chrysale
Qu’est-ce
à dire ? L’affaire est donc considérable ?
Philaminte
Sans
doute. Me voit-on femme déraisonnable ?
Chrysale
Est-ce
qu’elle a laissé, d’un esprit négligent,
Dérober quelque
aiguière ou quelque plat d’argent ?
Philaminte
Cela
ne serait rien.
Chrysale
Oh, oh ! peste,
la belle !
Quoi ? l’avez-vous surprise à n’être
pas fidèle ?
Philaminte
C’est pis que
tout cela.
Chrysale
Pis que tout
cela ?
Philaminte
Pis.
Chrysale
Comment
diantre, friponne ! Euh ? a-t-elle commis.
Philaminte
Elle
a, d’une insolence à nulle autre pareille,
Après trente
leçons, insulté mon oreille
Par l’impropriété d’un mot
sauvage et bas,
Qu’en termes décisifs condamne
Vaugelas.
Chrysale
Est-ce
là… ?
Philaminte
Quoi ? toujours,
malgré nos remontrances,
Heurter le fondement de toutes les
sciences,
La grammaire, qui sait régenter jusqu’aux rois,
Et
les fait, la main haute, obéir à ses lois ?
Chrysale
Du
plus grand des forfaits je la croyais coupable.
Philaminte
Quoi ?
vous ne trouvez pas ce crime impardonnable ?
Chrysale
Si
fait.
Philaminte
Je voudrais bien que vous
l’excusassiez !
Chrysale
Je n’ai
garde.
Bélise
Il est vrai que ce sont des
pitiés :
Toute construction est par elle détruite,
Et
des lois du langage on l’a cent fois instruite.
Martine
Tout
ce que vous prêchez est, je crois, bel et bon ;
Mais je ne
saurais, moi, parler votre jargon.
Philaminte
L’impudente !
appeler un jargon le langage
Fondé sur la raison et sur le bel
usage !
Martine
Quand on se fait
entendre, on parle toujours bien,
Et tous vos beaux dictons ne
servent pas de rien.
Philaminte
Hé bien !
ne voilà pas encore de son style ?
Ne servent-pas de
rien !
Bélise
Ô cervelle
indocile !
Faut-il qu’avec les soins qu’on prend
incessamment,
On ne te puisse apprendre à parler congrûment ?
De
pas mis avec rien tu fais la récidive,
Et
c’est, comme on t’a dit, trop d’une négative.
Martine
Mon
Dieu ! je n’avons pas étugué comme vous,
Et je parlons
tout droit comme on parle cheux nous.
Philaminte
Ah !
peut-on y tenir ?
Bélise
Quel solécisme
horrible !
Philaminte
En voilà pour tuer
une oreille sensible.
Bélise
Ton esprit, je
l’avoue, est bien matériel.
Je n’est qu’un
singulier, avons est pluriel.
Veux-tu toute ta vie
offenser la grammaire ?
Martine
Qui parle
d’offenser grand’mère ni grand-père ?
Philaminte
Ô
Ciel !
Bélise
Grammaire est prise à
contre-sens par toi,
Et je t’ai dit déjà d’où vient ce
mot.
Martine
Ma foi !
Qu’il vienne
de Chaillot, d’Auteuil, ou de Pontoise,
Cela ne me fait
rien.
Bélise
Quelle âme villageoise !
La
grammaire, du verbe et du nominatif,
Comme de l’adjectif avec le
substantif,
Nous enseigne les lois.
Martine
J’ai,
Madame, à vous dire
Que je ne connais point ces
gens-là.
Philaminte
Quel martyre !
Bélise
Ce
sont les noms des mots, et l’on doit regarder
En quoi c’est
qu’il les faut faire ensemble accorder.
Martine
Qu’ils
s’accordent entr’eux, ou se gourment, qu’importe ?
Philaminte,
à sa sœur.
Eh, mon Dieu ! Finissez un discours de
la sorte.