salut l'artiste...CHABROL par amaurywat!
« Ils allèrent, ils dansèrent, ils trouvèrent en Erika une compagne d’un enjouement exquis qui fit dire à Georges :
Elle est comme elles sont de moins en moins : parfaitement comme il faut. »
extrait d'une nouvelle de Gegauff.
On se dit que le « ils » c'est Gegauff et Chabrol, couple d'amis qui ont besoin l'un de l'autre même si l'un effraie l'autre, les contraires s'attirant.
Chabrol est mort. Gegauff aussi, depuis 1984. Les deux personnages, le réalisateur, et le scénariste, avaient tous les deux une relation faite de fascination, légèrement sadienne, surtout de Chabrol envers Gegauff, lui même étant attiré par la personnalité du cinéaste. On retrouve ces deux catégories de personnages dans tous les films de Chabrol, ceux qui se moquent du monde, agissent de manière totalement amorale et s'en contrefichent, à la manière du Don Juan de Molière, prêts à aller aux enfers avec la statue du Commandeur, comme Gegauff, ceux qui voudraient bien agir de même mais ont encore des scrupules, comme Chabrol qui reste au fond un moraliste. Les personnages qui ressemblent à Chabrol ont en fait envie de faire l'amour avec les personnages qui ressemblent à Gegauff. On le voit dans « les cousins », dans « les godelureaux » et même dans « Que la bête meurt » ou le père que joue Michel Duchaussoy est comme prise au piège par celui joué par Jean Yanne, qui est infiniment plus fort. Parfois, comme dans « la Cérémonie », les forts ne sont pas où on les attendrait, les bourgeois, ouverts mais pas trop, tolérants sauf pour ce qu'ils possèdent, et finalement dédaigneux, sont insignifiants, les personnages de Bonnaire et Huppert finalement bien plus adaptés au monde, à sa violence, à sa bêtise crasse toute-puissante.
Et vous, êtes-vous plutôt du côté de Chabrol ou de celui de Gegauff ? La réponse peut surprendre et décevoir.
Gegauff,
lui, baise, boit s'enivre et s'en fout, quitte à provoquer chez sa
femme une telle passion qu'elle finit par le tuer de plusieurs coups de
couteau. Pour lui l'absolu n'existe pas, il n'y a aucune transcendance,
donc quitte à vivre autant le faire sans obéir à quoi que ce soit.
Chabrol boit, mange, et fait l'amour, mais il a encore en lui un goût
d'absolu. Il voudrait bien y croire, et surtout il conchie la médiocrité
et peint les femmes comme Montherlant. Chabrol est certainement très
proche de l'inspecteur Lavardin, mon flic cinématographique préféré,
faussement cynique, ne respectant surtout pas l'argent, la fausse
honorabilité et les conventions hypocrites de la bourgeoisie
provinciale, ou parisienne (je le précise à l'intention de mes lecteurs
provinciaux qui pourraient se sentir visés et insultées) : les maris qui
baguenaudent et maintiennent les apparences, les femmes abandonnées et
seules, les enfants qui essaient de se distraire, et adoptent très vite
les préjugés des adultes, les lieux communs qui leur tiennent lieu
d'esprit. Les bourgeois n'aiment pas du tout les moralistes caustiques
comme Chabrol, ils n'aiment être lucides sur eux-mêmes de toutes
manières. Je suis sûr que certains vont se sentir rassurés et lui
tresser des couronnes hypocrites en se disant "enfin ils nous foutra la
paix".
J'aime beaucoup le cinéma de Chabrol, son honnêteté face à ce qui reste quand même, quel que soit le film, une attraction foraine. Chabrol loupait de temps un film ou deux mais ce n'était pas trop grave car ses films ratés valent bien un ou deux Depleschins voire « le jour et la nuit » de BHL, qui selon le philosophe « discount » serait devenu un film culte. Le cinéma de Chabrol est un cinéma qui ressemble beaucoup aux romans de Simenon, dont il est à mon avis le meilleur adaptateur. Certains romanciers à la mode, comme Michel Houellebecq, décrivent les travers de l'âme humaine sans humanité, chez Simenon ou Chabrol, l'homme est partout, avec tout ce que cela implique, de sa bêtise à sa capacité à se réjouir avec ceux qu'il aime. C'est toute la différence. Chabrol aimerait bien croire dans une rédemption possible mais il a du mal à la trouver. Il cherche un sens à la sottise humaine, aux errances des pitoyables primates que l'on trouve à la surface de cette planète. Selon Gegauff, il ne comprend pas qu'il n'y a pas à chercher un sens, il n'y en a pas. Dans les deux cas, cela mène au nihilisme et au désespoir.