Une vieille miette pour un problème crucial...'Les chaussettes'
En panne d’ordinateur pendant quelques jours encore, j’en profite pour régler quelques détails ménagers souvent négligés. Je vous en épargne l’énumération fastidieuse. Tout se passe dans la bonne humeur, jusqu’au moment où je déterre la bannette en osier préposée aux chaussettes qu’un coup de pied vigoureux a envoyé valser dans un coin sombre et reculé. Je l’extirpe au prix d’un peu de reptation acrobatique et mesure l’étendue du désastre. Je contemple à peine moins de quarante siècles de chaussettes de toutes couleurs, de toutes tailles, de tous les sexes…
Pour venir à bout d’une totalité aussi complexe, je me mets aussitôt sous la protection du cher Descartes ( un peu critiqué, je sais, je sais) et je décide de dénombrer mes chaussettes en adoptant un protocole dont je ne suis pas mécontente dans un premier temps. Etaler les chaussettes sur la table, ou plutôt sur les tables, apparier les spécimens selon la taille et la couleur, les marier par deux, les plier selon la méthode ancestrale qui permet d’obtenir une petite balle ovoïde et laineuse, souple quoique un peu ferme, propre à tenir dans la main d’un honnête homme, comme on disait jadis de la bonne taille d’un sein de femme. Reste à passer aux travaux pratiques.
Trois difficultés surgissent. Les chaussettes trouées. Poubelle. Les chaussettes détendues par l’usage ou le lavage. Poubelle. Les chaussettes qui ont pris chacune de leur côté une couleur ravissante mais improbable au fil du temps . Poubelle. Gros progrès : les chaussettes rescapées tiennent toutes sur une seule table. Le côté jogging de l’entreprise se trouve amélioré.
Devant moi, trois catégories : Les chaussettes de l’Homme, marque DD depuis l’enfance, les plus chères, mais sobres, un losange discret sur la tige, couleurs : gris, bordeaux, vert amande (pour un accès de fantaisie débridée !). Fâcheux mais classique, elles sont en nombre impair ; j’en jette une pour reconstituer un lot exploitable. Mes chaussettes à moi : fastoche. Beiges ou noires selon les pantalons assortis, et je suis si distraite qu’elles ne sont pas toujours de la même couleur quand mon mari jette un coup d’œil effaré à l’heure du déjeuner. Tiens ! Dommage ! une tache de peinture rose sur la beige, obligée de la jeter et sa sœur jumelle constitue un brelan avec ses deux cousines de la même teinte. Aucune discrimination de taille ni de couleurs pour les grosses chaussettes de pêche. Marron ou bleue, achetées au hasard des marchés et elles sont 100% lycra, cracra, ou autre nylon, donc increvables. J’ai toujours pensé qu’on peut les faire bouillir. Leur taille incertaine, petite pour un homme, grande pour une femme, permet une grande souplesse d’emploi. Chacun de nous en prend quatre au hasard. Deux pour partir et deux pour une opération pieds mouillés. Besoin d’en jeter aucune. Ouf !
Les chaussettes des enfants étalées sur la table présentent un spectacle lamentable. Informes, distendues, feutrées, innommables, les semelles noirâtres témoignent de courses sans chaussures, ou dans du goudron, ou dans de la vase. Je me demande ce qu’ils font avec. Après suppression des plus pourries , il me reste trois paires de blanche avec une rayure rouge, trois autres avec une rayure bleue, deux bleu marine, deux blanches sans motifs et deux célibataires de deux séries différentes, presque neuves et qu’il faut jeter. Non, j’en ai vraiment marre de balancer des chaussettes. Je les ramasse , les roule l’une dans l’autre et les replace soigneusement dans le fond de la bannette, pour la prochaine fois.
J’ai connu une mère de famille de sept ou huit enfants, et elle m’a confié un jour, être venu à surmonter une grande quantité de difficultés au cours de sa vie, sans jamais parvenir à maîtriser le rangement des chaussettes. Voici comment j’ai fait, m’a-t-elle dit, : j’ai choisi un grand tiroir profond au rez-de-chaussée de la maison et je les ai fourrées toutes en vrac. Chacun venait là, trouver son bonheur, avec la recommandation explicite de ne plus jamais en parler…Pragmatiques de tous les pays, unissez-vous…
Aglaé