Un Cendrars très connu...toujours le même plaisir...
Seigneur, je suis dans le quartier des bons voleurs,
Des
vagabonds, des va-nu-pieds, des recéleurs.
Je pense aux deux
larrons qui étaient avec vous à la Potence,
Je sais que vous
daignez sourire à leur malchance.
Seigneur, l’un voudrait une
corde avec un noeud au bout,
Mais ça n’est pas gratis, la
corde, ça coûte vingt sous.
Il raisonnait comme un philosophe,
ce vieux bandit.
Je lui ai donné de l’opium pour qu’il aille
plus vite en paradis.
Je pense aussi aux musiciens des rues,
Au
violoniste aveugle, au manchot qui tourne l’orgue de Barbarie,
A
la chanteuse au chapeau de paille avec des roses de papier ;
Je
sais que ce sont eux qui chantent durant l’éternité.
Seigneur,
faites-leur l’aumône, autre que de la lueur des becs de
gaz,
Seigneur, faites-leur l’aumône de gros sous
ici-bas.
Seigneur, quand vous mourûtes, le rideau se fendit,
Ce
qu’on vit derrière, personne ne l’a dit.
La rue est dans la
nuit comme une déchirure
Pleine d’or et de sang, de feu et
d’épluchures.
Ceux que vous avez chassé du temple avec votre
fouet,
Flagellent les passants d’une poignée de
méfaits.
L’Etoile qui disparut alors du tabernacle,
Brûle
sur les murs dans la lumière crue des spectacles.
Seigneur, la
Banque illuminée est comme un coffre-fort,
Où s’est coagulé
le Sang de votre mort.
Les rues se font désertes et deviennent
plus noires.
Je chancelle comme un homme ivre sur les
trottoirs.
J’ai peur des grands pans d’ombre que les maisons
projettent.
j’ai peur. Quelqu’un me suit. Je n’ose tourner
la tête.
Un pas clopin-clopant saute de plus en plus près.
J’ai
peur. J’ai le vertige. Et je m’arrête exprès.
Un effroyable
drôle m’a jeté un regard
Aigu, puis a passé, mauvais comme un
poignard.
Seigneur, rien n’a changé depuis que vous n’êtes
plus Roi.