LA TORTUE TORDUE - THOMAS - AGLA illustration.
Dédicace
Sans toi, Aglaé, je n’aurais jamais pu écrire la Tortue tordue, car tu as dessiné l’animal bien avant que je rédige mon texte, et j’insiste sur ce point : c’est ton dessin qui a inspiré mes mots, et non l’inverse. Et puis, sache-le, sans toi, sans ta gentillesse et tes encouragements constants, j’aurais sans doute abandonné l’écriture – l’écriture en général – depuis longtemps. Tout est donc de ta faute, Aglaé ! Merci pour tout ! Mille fois merci.
Thomas
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La tortue tordue
La tortue tordue habitait le monde à l’envers. Ce monde était un drôle d’endroit. C’était un monde où l’on marchait la tête en bas pour voir où l’on mettait les pieds sur terre, c’est-à-dire sur le sol qui était en haut. On n’avait pas le choix.
La tortue tordue, à l’instar de nombreux locataires de cet univers où la gravité était inversée (mais normale pour eux), subodorait qu’il existait, dans une autre dimension, de l’autre côté d’une sorte de pellicule invisible, un univers très différent du sien, un univers où la gravité vous rivait les pieds sur une solidité qui était en bas.
Simple supposition, bien sûr, mais tant de colocataires de la tortue pensaient la même chose qu’elle ! Citons, entre autres, l’anguille sur roche, le lézard incassable, l’éléphant nain géant, le chat sérieux, l’être humain humaniste, l’araignée des faux-plafonds.
Il devait y avoir une part de vérité là-dedans, dans ce remue-méninges des cerveaux de tant de résidents. Forcément ! Ça ne pouvait être seulement une de ces fake news que l’on trouvait sur les réseaux sociaux.
L’un des principaux théoriciens sérieux du coin, à propos des univers parallèles, était le serpent rectiligne. C’était un sage et un savant, et on le considérait comme l’un des plus grands génies de son temps. Il avait des idées remarquablement précises sur le parallélisme (son idée la plus géniale en ce domaine, idée aussi simple qu’admirable, étant que des parallèles ont fatalement du mal à se rejoindre).
Le serpent rectiligne était un ami de la tortue tordue. Ils se voyaient souvent. Chez-elle, chez- lui, ou bien dans des bars où ils refaisaient le monde. Leurs discussions portaient souvent sur l’hypothétique univers du dessus, qui intriguait beaucoup la tortue tordue et sur lequel le serpent avait beaucoup de réponses à ses questions.
- Ça ne doit pas être si différent d’ici, disait la tortue. Que le sol soit en haut ou en bas, il doit être plat, par définition, nettement, comme une planète. Tous les mondes concevables ressemblent à des assiettes plates, c’est évident.
- Je nuancerais vos propos, répondait invariablement le rectiligne. À cause de la gravité positive, les mers du monde à l’endroit déborderaient si ce monde-là était parfaitement plat. Ce monde-là, s’il existe, doit plutôt ressembler à une assiette creuse, une assiette creuse comme une assiette à soupe (à la tortue).
- Je n’y avais pas pensé, répondait la tortue tordue. Vos idées me paraissent excellentes. Creusons-les.
Thomas Arfeuille