PEPITO : "Sortie du samedi soir"...
Sortie du samedi soir
Pepito
Emmitouflés jusqu’aux narines, les quidams s’étirent au travers du trottoir de la place Wilson en deux queues gentiment parallèles. Au bout d’une file, avec mon pote Zog, nous patientons en profitant du spectacle que nous offre Jojo le S’dèfe.
Jojo a trouvé, dans cette double ligne de patients péquins, le plan idéal pour se faire du blé. En train de se geler dans l’attente de gagner notre place au cinoche, nous ne pouvons ni nous échapper, ni feindre de ne pas avoir une petite pièce ou deux. C’est réglé comme du papier à tube de l’été.
- B’soir m’ssieurs dames ! Fait pas chaud, hein, un temps à pas mettre un s’dèfe dehors… Z’auriez pas une petite pièce ou deux pour m’dépanner ?
Seuls les plus bégueules osent résister à la demande de cette tronche burinée, cette voix de basse rocailleuse et ce sourire malicieux. Et les plus bégueules sont parfois très jolies.
Dans l’autre file, un peu en amont, deux mignonnes ronchonnent en s’encourageant mutuellement à ne pas céder au racket du clodo. Toutes mimis dans leurs habits de sortie, les deux pin-up attendent leur tour de taxe en regardant fixement ailleurs… Mais Jojo en a vu bien d’autres. Il s’approche des deux filles bras écartés façon cowboy et, toujours sur le même ton, démarre son laïus.
- B’soir mes d’moiselles ! Ça vous dirait pas… c’soir… pour changer... d'coucher toutes les deux avec moi ?
Fraction de seconde, puis éclat de rire général dans les deux files d’attente. Le temps pour Jojo de contourner les deux nanas, rouges comme des cerises, et de continuer sa quête initiatique.
- B’soir m’ssieurs dames ! Fait pas chaud, hein, un temps à pas mettre un s’dèfe dehors… Z’auriez pas une petite pièce ou deux pour m’dépanner ?
Inutile de dire que les portemonnaies s’ouvrent plus spontanément que jamais…
Tout en continuant à se marrer, Zog pose la question rituelle.
- Au fait, qu’est-ce qu’on va voir ?
- Ah ouais, c’est vrai. Qu’est-ce qu’y a ce soir ?
- Ben, j’sais pas, moi.
- Continue de faire la queue, j’vais voir, lui dis-je.
Et je le plante là, à la merci de Jojo le s’dèfe, pour remonter les deux files jusqu’au tableau d’affichage.
Cela peut paraitre curieux, mais nous allons si souvent au cinéma, que la plupart du temps nous choisissions le film au dernier moment et, aussi, un poil au hasard. Cela nous a permis de voir quelques merveilles venues d’ailleurs… et une quantité phé-no-mé-nale de navets !
Je suis plongé dans les dernières sorties, concentré sur les synopsis, quand retentit derrière moi un long et puissant grondement. Pour la musique, cela ressemble à peu près au cri de Tarzan, pour la voix, j’imagine assez bien un Pavarotti gargarisé au gravier, pour les paroles, cela débute sans contexte par mon prénom et mon nom : Pepitoaooo Reeeeshkkkkk ! Un temps d'arrêt... T'as pas cent baaaaaalles !!!!
Je fais un bond de surprise accompagné d’un demi-tour si éloquent, que plus personne dans les deux files n’ignore que c’est moi qui viens d’être ainsi apostrophé. Le temps de capter des dizaines de faces hilares en train de me dévisager et j’aperçois, en plein milieu du trottoir, mains sur les hanches et banane aux lèvres, mon Jojo tout content de son effet. A son coté, tellement secoué de rire qu’il a du mal à garder l’équilibre, le Zog se marre comme une baleine.
Pendant que j’avais le dos tourné, Jojo le clodo est venu le taxer. L’autre infâme, sans se démonter, lui a répondu.
- Moi j’ai rien, mais mon pote là-bas, il est plein aux as.
- Haaa, et comment ki s’appelle, ton pote ?
Vous connaissez la suite…
On a donné, mais moins que le prix des deux places de cinoche que nous sommes allés voir ensuite.
Pourtant, Jojo a été bien plus drôle que le film dont je n'ai aucun souvenir…
Pepito