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VITDITS ET AGLAMIETTES
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Vous venez d'atterrir sur le blog d'AGLAMIETTES où sévissent Aglaé, Thomas et Dan.

Chez nous, vous trouverez des textes courts, des aphorismes pas toujours très sérieux, des réparties dites VD, ou « Vitdit » pas vraiment classiques, mais, autant que possible humoristiques.

Laissez-nous un commentaire si vous avez le temps et l'envie.

Les commentaires sont accessibles sous chaque post de nos auteurs.

Une réponse vous sera adressée (sauf caprices de l'informatique toujours possible) !

vitdits-ecran

Participez sous la rubrique : « Le Plumard » réservée à nos amis et invités.

A bientôt !

3 août 2018

L’Age Ingrat... Aglaé...

agla aout 2018

 

L’Age Ingrat

 

Les parents avaient longuement hésité : est-ce qu’on l’emmène ou est ce qu’on ne l’emmène pas ? Les parents en question, c’étaient les miens. La petite fille, enjeu de ce dilemme cornélien, c’était moi. La femme de mon père n’était pas ma mère et même une mère ne tolère  pas toujours ce qu’Hélène supportait de plus en plus mal.

Je renonce à faire le portrait d’Hélène que mon père, veuf à quarante sept ans, avait épousée, au moment de l’exode en mille neuf cent quarante. Ce que je peux dire c’est qu’elle ne m’avait pas mérité. Dans les deux sens du terme. J’étais vraiment trop et pas assez. Vous me demandez en quoi ? hé bien justement, en tout. J’éclatais de bonne santé, je mangeais trop et trop vite (de vous à moi, je n’ai pas changé, on dirait toujours que je suis pressée de retourner  jouer le plus vite possible), de là une bonne paire de fesses qui craquait les fermetures de mes vêtements toutes les deux minutes. Je parlais fort au point que je revenais régulièrement aphone de l’école ou de colonie de vacances, j’oubliais mes affaires dans tous les coins, mon béret d’uniforme (hé oui !) chez ma copine, mon cahier de texte à la maison, la monnaie du pain dans ma poche. Ou alors j’oubliais de me rendre à ma leçon de piano et si j’y allais, j’avais oublié mon cartable en route.

Ce qui aurait pu compenser cet état de choses l’aggravait au contraire. J’étais maligne comme un singe. Et garce comme pas une. Si bien qu’à l’âge de neuf ans, sur beaucoup de sujets, je clouais le bec de la pauvre Hélène au point que personne ne pouvait la sauver, même dans un parfait esprit de charité. Elle prétendait alors que je « raisonnais » et je répondais (mal vu aussi) maladroitement que « raisonner » était justement ce que je voulais faire et qu’on m’encourageait à faire dans d’autres circonstances de ma vie.

En mille neuf cent quarante trois, dans une France totalement occupée, mes parents n’auraient pas laissé passer l’occasion de faire un petit voyage en Bourgogne. Hélène y avait passé une partie de son enfance, et elle se réjouissait de voir des amis depuis longtemps perdus de vue. La perspective de m’emmener avec eux ne leur plaisait guère. Ils en  discutèrent. On me fit des recommandations en tout genre. Je promis tout ce qu’on voulut. Nous partîmes.

Le soir même, nous étions au Creusot, petite ville éminemment sinistre grâce à l’érection des Usines Schneider au siècle dernier. Chacun, au Creusot, travaillait ou avait travaillé ou travaillerait bientôt aux Usines Schneider. Fonderies énormes, métallurgie lourde, les bâtiments massifs plombaient la ville, lui communiquant une atmosphère de poussières grises, et une tristesse insondable.

Tout ça, je m’en foutais et nous étions chaque jour invités dans de nouvelles maisons par des gens bien élevés, un peu trop même, pas vraiment marrants et un peu culpincés. Mais on mangeait bien et je jouais dans les jardins. Avec une petite bourrique de mon âge, Maryse, que je détestai immédiatement. Les adultes l’adoraient, vantaient sa sagesse, sa bonne éducation, ses cheveux bien coiffés, ses chaussures bien cirées, et comme ça du matin au soir. Je n’exagère pas. Nous jouions dans le jardin, Maryse me prêtait ses jouets avec grâce, et surtout, nous avions découvert la tortue, Paulette, devenue rapidement le centre de notre intérêt. Je ne vous cite pas les détails sur cet épisode de mon récit, car la SPA me ferait sans doute un procès rétrospectif.

A l’heure du déjeuner, on nous appelait et Maryse allait directement se laver les mains. Je suivais presque toujours. Le repas était très bon et très long. Maryse se tenait très bien à table. Moi, j’hésitais à demander la permission de sortir de table, de peur d’être oubliée au moment du dessert. J’hésite encore un moment, quand, très vite, une idée me vient. Une bonne idée. Une ou deux minutes me suffisent pour aller chercher Paulette, je reviens m’asseoir à table, Paulette sur mes genoux, ma serviette par-dessus et je suis sûre de ne pas rater le moment du dessert. Les grandes personnes, tout à leurs conversations, l’humeur amollie par les bourgognes un peu lourds qu’on déguste lentement au cours des repas, ne font plus guère attention aux enfants en bout de table. Comme la situation me semble favorable à une initiative courageuse, je pose tout doucement la tortue sur la nappe damassée blanche, devant moi, et je lui fais un petit drap avec ma serviette pliée en deux. On la voit à peine. Seule, cette garce de Maryse suit de ses yeux effarés de petite fille sage toutes les étapes de l’installation. Ce n’est que plus tard, quand tout le monde s’apprête à passer à passer au salon pour le café, que l’affaire se gâte… Paulette a déposé sur la nappe l’abondant résultat d’un régime sévèrement végétarien, lequel liquide et malodorant, se répand en une large tache brune. Je suis toujours étonnée quand j’y pense de n’avoir fait rire personne. Les grandes personnes n’étaient pas marrantes à cette époque-là.

Le lendemain nous étions invités, pour le thé chez une très vieille dame. Je la revois, enfouie dans un grand fauteuil, très maigre, vêtue d’une épaisseur incroyable de lainages superposés.

Comme le faisaient en pareil cas toutes les vieilles dames de cette époque, elle ouvrit pour nous une boîte en fer, carrée, et nous offrit des biscuits secs. Du nord au sud de la France, il m’est arrivé de goûter ce genre de biscuits dans ce genre de boite, je peux vous garantir une chose, ils ont tous exactement le même goût. Ni vraiment bons, ni vraiment mauvais, le temps passé dans la boîte a réalisé une osmose des saveurs que je n’ai plus jamais retrouvée  ensuite.

Je n’ai fait aucun scandale ce jour-là. On m’avait prêté un livre, je ne sais plus lequel, et sans en avoir l’air, j’écoutais la conversation des grands. D’ailleurs, je n’y comprenais rien. C’est seulement le lendemain, alors que mes parents rendaient compte de cette visite à une tierce personne, que je compris une chose terrible. Enfin, je l’entendis car je ne la compris pas. A mi-voix, les trois adultes en présence parlaient de la vieille dame, de sa vie très malheureuse, et  de sa grande solitude après un mariage catastrophique, mariage de quelques jours seulement. J’écoutais de mieux en mieux.

- Vous savez que ça a été une horreur son mariage. Elle ne s’en ai jamais remise…

- Sait-on exactement ce qui s’est passé ?

- Ses parents n’en ont jamais parlé, bien sûr.

- Et elle non plus ?

- Encore moins… Faut imaginer à cette époque-là…

- OUI, bien sûr…

- Mais on a quand même une petite idée…

- Ce qui a été dit en fait… enfin tel que moi je l’ai entendu… C’est qu’il était monté comme un âne…

- Non !

- Si !

Alors là, j’étais ahurie. Comment trouver un sens entre cette petite vieille, son mariage, et un âne ? Avant que cette énigme là s’éclaircisse, j’avais tout le temps devant moi.

Le lendemain nous réservait une invitation plus agréable. Nous allions, à quelques dizaines de kilomètres du Creusot, chez des vignerons. J’en trépignais de plaisir. Monsieur et Madame Rochette nous reçurent à bras ouverts. Ils devaient être des parents d’Hélène, et ils  nous tutoyèrent aussitôt. Nous étions à quelques semaines des vendanges, les  pieds de vignes croulaient sous le poids d’énormes grappes presque bleues. Monsieur Rochette expliquait avec autant de bonhomie que de compétence, tout ce que des Parisiens comme nous pouvaient comprendre de son beau métier. Je ne le quittais pas des yeux. J’aurai bien eu envie de demander une grappe de raisin. Devinant la chose, notre hôte expliqua que ces fruits-là feraient un vin excellent mais qu’ils ne valaient rien en dehors de cette fonction très spéciale. Je me sentais touchée par cet homme gentil et chaleureux, qui s’adressait à moi comme à une petite personne digne des explications qu’il nous donnait. Madame Rochette, qui s’était éclipsée sans doute pour la préparation du déjeuner, vint nous rejoindre vers midi, au moment de finir la promenade par la visite des caves, lieux précieux entre tous, aussi intimidantes pour moi qu’une église.

L’endroit était haut de plafond, frais, d’une propreté et d’un ordre confondant, surtout pour moi. Une odeur fruitée, fraîche et pénétrante, inondait mes poumons à chaque inspiration. De grandes cuves métalliques servaient à recevoir le jus du raisin, juste après qu’il eut été foulé, des cartons remplis de bouteilles portaient déjà le nom et l’adresse de leurs destinataires. Cette pièce communiquait directement avec une cave voûtée, que les bouteilles tapissaient du haut en bas et de long en large, jusqu’au fond. Ici, tout était frais, odorant, embaumé.

Quatre verres fins, pour une dégustation, furent emplis avec douceur par Monsieur Rochette. Pour moi, il avait sorti un taste-vin, et je compris tasse de vin, et versa quelques millimètres de Mercurey. J’étais aux anges. Tellement contente que je n’aurai pas osé dire à personne, après avoir bu, que j’avais trouvé ça assez mauvais. J’étais si fière, d’être traitée comme une jeune fille.

Les adultes continuaient leur conversation. Je gambadais à mon aise. L’heure passait. Et je suppose que le rôti de Madame Rochette étant enfourné, tout ce petit monde se dirigea vers la maison. Apparemment, je m’étais tenue convenablement. Sauf. Oui, il y a un sauf, autant vous le dire tout de suite, car je ne pouvais pas le dissimuler très longtemps, sauf que, pendant un moment d’inattention des grandes personnes, j’avais vidé les verres de vin restés à demi-pleins sur la table. Et la journée d’enfer de mes parents ne fit que commencer. Le vieux Mercurey qui pesait dans les treize degrés m’avait plongée dans un état d’excitation à peine croyable. On se mit à table, en espérant  que, n’étant plus à jeun, le calme me reviendrait. Mais rien n’y fit. Je parlais tout le temps, je riais à propos de n’importe quoi, familière avec nos hôtes, gâchant de façon irrémédiable ce repas charmant. Mon père et Hélène étaient partagés entre la honte et la colère. Comme ils n’étaient pas chez eux, ils intériorisèrent leur désagrément. Le repas se prolongeait tant bien que mal, on me permit de quitter la table. Ce fut bientôt l’apothéose. Je voulus chanter. Très fort. Toujours très fort avec moi. Défilèrent toutes les chansons des veillées scoutes de l’époque. Heureusement, je ne connaissais pas encore les chansons de corps de garde, sinon ils y avaient droit. Je pense même qu’ils ont fini par rire. Rassurez-vous, j’ai fini par m’endormir. Sous la table. Non sans avoir entonné un final de toute beauté :

- Car elle est morte, Adèle

- Adèèèèle, ma bien aimée.

J’ai oublié les autres vers de cette délicate bluette.

Le retour au Creusot fut un peu crispé et j’avais décidé, enfin, de me taire.

Le lendemain fut notre dernier jour au Creusot. Les évènements de ce jour-là sont un peu délicats à reconstituer, même soixante ans après. Je pense qu’une dernière promenade était prévue et chacun de nous emprunta la salle de bains, s’habilla, petit déjeuna et fut prêt  à partir. Seul, mon père manquait à l’appel. Avec discrétion, les invités et les hôtes en présence prolongèrent un moment une conversation sans objet. L’attente durait et ma belle-mère, après un coup d’œil à la chambre et à la salle de bains, décida de frapper légèrement à la porte des cabinets :

- Tu es là, Gaston ?

- Oui

- Ça va,

- Oui, enfin, oui et non

- Comment ça, tu es souffrant ?

- Non, non, c’est pas ça

- C’est quoi ?

- J’ai laissé tomber mon portefeuille.

- Dans le…

- Oui

- Ouvre. Tu ne peux pas rester ici toute la journée.

En fait, cette pièce qui venait de jouer un si mauvais tour à mon père, était une garde-robe à l’ancienne : une marche permettait d’accéder à une sorte de caisse en beau bois ciré, troué en son milieu, le tout communicant sous la maison avec une fosse septique.

Le portefeuille s’était malencontreusement ouvert, les billets de banque avaient chu, et s’étaient collés ici et là dans la lunette. Mon père sortit, mal à son aise et il fallut bien raconter l’incident et chercher une solution. Je n’étais pas méchante malgré les grosses bêtises racontées plus haut mais je trouvais que là, mon père m’avait dépassée de cent coudées. On avait bien essayé de m’envoyer jouer dans le jardin, mais j’étais bien décidée à ne pas en perdre une miette (sic).

De grandes pinces de cheminée inutilisées depuis longtemps servirent à repêcher, un à un, les billets maculés. On emplit des seaux d’eau, on apporta chiffons et éponges, et une curieuse petite lessive, suivie d’un séchage délicat, occupa notre petite communauté pendant un bon moment.

La dernière image qui me reste du Creusot à l’âge de soixante-dix ans qui est le mien aujourd’hui, c’est le lit de mes parents constellé des rectangles de précieux papiers finissant de sécher avant de regagner un portefeuille d’où ils n’auraient jamais du s’évader.

 

Aglaé Vadet

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Commentaires
A
Délicieuse petite Aglachieuse que ne renierait pas sa cousine, Sophie née Rostopchine du côté de Saint Pétersbourg ... La pauvre Hélène avait hérité, sans le savoir, d'un petit trésor littéraire qu'elle n'a sans doute pas apprécié à sa juste valeur !
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A
Merci Dan!<br /> <br /> Suite à nos échanges sur nos familles et nos enfances respectives je souhaite que Pierre lise le texte qui dit des 'choses' sur aglachieuse vers 13 ans!!!
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