Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
VITDITS ET AGLAMIETTES
VITDITS ET AGLAMIETTES
Publicité
Archives
Derniers commentaires
VITDITS ET AGLAMIETTES
Newsletter
0 abonnés
Visiteurs
Depuis la création 355 258
Vous y êtes !

Vous venez d'atterrir sur le blog d'AGLAMIETTES où sévissent Aglaé, Thomas et Dan.

Chez nous, vous trouverez des textes courts, des aphorismes pas toujours très sérieux, des réparties dites VD, ou « Vitdit » pas vraiment classiques, mais, autant que possible humoristiques.

Laissez-nous un commentaire si vous avez le temps et l'envie.

Les commentaires sont accessibles sous chaque post de nos auteurs.

Une réponse vous sera adressée (sauf caprices de l'informatique toujours possible) !

vitdits-ecran

Participez sous la rubrique : « Le Plumard » réservée à nos amis et invités.

A bientôt !

2 décembre 2017

Une Nouvelle de Jean Barbé...

tontons-flingueurs

 

L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE

 

 

Bien qu’il fut premier adjoint la plupart ne lui connaissait d’autre nom que celui de Castor qu’il tenait je crois d’une dentition généreuse. Généreuse, aimable et commerçante, elle décuplait un sourire arrimé aux bords des lèvres et s’épanouissait pour une simple commande d’escalope ou de cinq rondelles d’andouille. Son père avait détaillé le cochon et la génisse avant lui et Castor en avait aussi hérité cette habitude de reposer son crayon sur son oreille droite. Sans lâcher la balance des yeux il le prenait machinal pour noter en gros chiffres illisibles le prix de la côtelette sur le papier d’emballage. Puis il le re-posait illico, jusqu’à la prochaine pesée, sur son perchoir ourlé de cartilage rubicond.

Françoise était boulangère. Elle avait, dit-on, des écus. Avenante et gironde en son genre les hommes en général étaient toujours bien disposés à aller acheter le pain quotidien.

M et Mme Gaston, eux, faisaient dans l’épicerie. Pas toujours très fine l’épicerie Gaston mais accueillante du lundi tôt matin au dimanche tard le soir sans trêve et davantage si nécessaire. Ce qui rend bien service quand on tombe en panne de sel ou de moutarde à l’heure du fricot ou encore pour trouver une bouteille d’AOC et un paquet de gaufrettes quand un fâcheux vous fait l’honneur incertain d’une visite inattendue à une heure indue.

Pour une poignée de clous au débotté ou un acide déboucheur d’évier dans l’urgence, le père Madec avait « tout ». Il ne savait pas toujours où il avait « tout », ne le retrouvait pas tout de suite mais finissait toujours par le dégotter derrière une étagère poussiéreuse ou au tréfonds d’un tiroir lourd qui bruissait et lâchait des drôles de vieilles odeurs d’encaustique et de moisi quand il l’entrebâillait pour fouiller ses secrets, ses trésors.

En cas de nécessité Monsieur Trouillot, pharmacien diplômé de la faculté mais toutefois resté simple, faisait toujours crédit jusqu’au remboursement de la sécu.

Si Leberre était trop occupé à démonter un joint de culasse ou je ne sais quoi qui pouvait le tenir toute la journée à moitié enseveli sous une carcasse de berline ou le bloc moteur d’un Massey Ferguson, ou bien s’il était parti en dépannage ou encore se musser en quelque affût pour caresser de chevrotines un sanglier de passage, les initiés se servaient eux-mêmes en gazoline et mettaient l’appoint sonnant et trébuchant dans la boîte à sucre en fer blanc planquée sous l’établi au fond sombre de l’atelier qui empestait la graisse de mécanique et en avait la grisaille.

Côté jardin, les semences de bisannuelles et les pieds de vivaces, les plants de salade, ceux de fraisiers ou de pommes de terre, étaient toujours de première qualité à la graineterie de Marie Hénanf, allias « Marie Cékoi » parce qu’elle abordait tout client qui pénétrait dans son négoce en lui lançant un coup de menton et un systématique : « c’est quoi ? », sous-entendu : « qu’vous voulez ? ».

Chez Françoise ou chez Castor on prenait rapidos les nouvelles du jour, des uns et des autres mais c’est plutôt en allant avant et après le boulot boire un jus ou l’apéro sur le zinc ou selon la saison à la terrasse du bar-tabac « L’orée du bois », qu’on discutait de tout en pétunant, discutaillait de rien en fumaillant derechef. On s’y avisait des derniers trucs de cette mondialisation qui venait d’on ne sait où pour nous plomber, du cours du cochon, des giboulées de mars, des guerres d’ici et celles de là … on en apprenait sur toute chose, tâchant surtout de savoir tout sur tous. Mais avant tout on se devait de s’informer de la nécrologie des alentours. Elle occupait trois pages du quotidien du matin. Pas question de louper un enterrement où il aurait été mal vu de ne pas y être vu. Fût-il celui d’une nonagénaire oubliée mais vaguement cousine d’un cousin par alliance ou d’un ami d’enfance, d’un copain du club des boulistes ou d’un ami d’un copain, on enfilait un costard sombre et on se retrouvait sur le parking devant l’église si le défunt ou la défunte avait des intentions de paradis ou bien sur la terrasse de « L’orée du bois » si de leur vivant leur éventuelle recherche d’éternité s’était manifestement toujours mesurée là plutôt que dans la sacristie.

 

******

 

Faute de tabac le bar-tabac n’est plus qu’un bar. Les fumeurs-jaseurs étant sans doute partis jaser en fumant ailleurs il n’y avait plus vraiment besoin de terrasse, alors il n’y en a plus. Castor est mort sans prévenir et dans la boucherie on tranche d’étranges quartiers puisque c’est désormais une agence immobilière qui trois fois par semaine, l’après-midi, essaie de vendre les cinq ares par part de lotissement de la Cité du Bois Joli à la sortie ouest du patelin après le rond-point tout neuf.

Quand la mère Gaston aussi a dévissé son billard le père Gaston a vieilli de mille ans et est parti renifler son chagrin chez ses enfants citadins. Dans les murs de son commerce il fut un temps question d’installer une crêperie pour les improbables touristes de passage mais ça fait déjà deux ou trois paires d’années que les vitres de l’épicerie ne sont occultées que d’un crêpe au lait de chaux.

Pareil pour le garage, on se demande même pourquoi ont-ils laissé la pompe à essence dans la cour ? épouvantail de métal qui n’effraie pas même les ronces faufilées dans les fentes du bitume, dans celles du crépi de la façade et dans les plis boudinés du bonhomme Michelin dont l’effigie souriante flanquée du lion Peugeot monte toujours une garde inutile sur le mur de la façade de l’atelier désert.

Vu que la boulangerie était fermée... vu que le pain c’est le peuple... vu que le peuple c’est la cité... vu tout ça et pour garder un air de cité à la commune le Conseil Municipal a mis d’abord un mec dans les murs transformés en « dépôt de pains ». Mais foutu bricheton qu’on livrait là chaque matin depuis on ne sait quelle usine ! Un réchauffé vraiment pas terrible et ça n’a pas duré… un coiffeur s’y est bien collé pendant presque six mois mais finalement pour ménager ses écus Françoise a transformé ça en deux T2 duplex que l’agence de la boucherie Castor essaie de louer à quelque éventuel misanthrope égaré et sans toit, personnage romanesque qui ne se trouve pas tous les jours dans les petites annonces ou sous le sabot d’un cheval.

D’autant qu’il y a des lustres qu’on ne voit plus de chevaux passés sous le soleil d’été en semant des parfums de crottin dans la grande rue. La quincaillerie Madec et la maison Cékoi mitoyenne sont devenues un entrepôt de la coop agricole.

Quant à Monsieur Trouillot, puisqu’il n’avait plus le nombre minimum de mortels à ravitailler, comme l’ordre des apothicaires l’exige, il fut prié d’aller ouvrir ailleurs une officine un peu plus performante. Ceci en dépit des protestations officielles du ci-dessus Conseil Municipal, pour une seconde fois unanime. La fermeture de l’agence postale ayant un an plus tôt suscité premièrement cette belle unanimité. Elans citoyens admirables. Admirables de fermeté et admirables parce que désespérés et parfaitement vains ils semblent pourtant mettre plus d’honneur et de dignité encore dans la vacuité de leur démarche.
En fait c’est lorsque l’école avec l’institutrice-directrice-économe-gardienne et la vingtaine d’enfants ont été transférées et regroupées dans une commune voisine qu’on a vraiment compris que la modernité nous rattrapait plus vite que prévu. L’heure de la sortie qui ne sonne plus retentit bizarrement avec des silences valant un requiem ou un tocsin… peut-être bien un glas.

Maintenant sauf les bagnoles qui passent, qui traversent plutôt, il ne se passe vraiment plus grand chose.

Il nous arrive encore de nous rencontrer au centre commercial du chef lieu d’à côté. …à trente bornes en proche banlieue de la préfecture. Trente, c’est beaucoup mais y a tout, tout, tout ce qu’il faut et puis le reste : trois supermarchés, des marchands de téléphones et des opticiens à la pelle, deux pizzerias, cinq agences bancaires et au moins le double de distributeurs à billets, des voyagistes avec des vitrines de rêves ensoleillés, des marchands de godasses et d’écrans plats, pis des fringues, des fringues, des fringues… des fringues partout ! deux dentistes, deux toubibs, deux pharmacies maousses self-service dont celle du père Trouillot, et une vitrine plus sobre : celle des Pompes funèbres. 
Une sorte de paradis avec fond sonore musical permanent et le plein d’enseignes lumineuses multicolores comme autant d’étoiles du berger pour moutons consuméristes.

C’est quand même un peu loin alors on n’y va que le samedi. Comme tous les gens de tous les patelins des alentours pris d'abord par nécessité puis irrésistiblement dans cette gravitationnelle bassine à ploucs, addictive et périurbaine. Heureusement que c’est ouvert le samedi quand on est de repos parce que faut quand même tabler en moyenne sur une petite heure de queue pour refiler notre chèque en échange d’un caddy ras bord… il arrive même quand c’est fin de mois qu’on en remplisse deux. En rentrant on bourre le congélateur pour que ça dure jusqu’au prochain samedi merveilleux. 
A la sortie on prend le temps de refaire la queue pour un plein d’essence moins chère à l’une des stations-services, histoire d’amortir un chouya les frais de déplacement. Et puis on rentre avec ce sentiment confus d’une mission utile bien accomplie. Certains samedis on abuse même un peu en décidant de prolonger la sortie jusque dans l’après-midi. Alors on se lâche et on s’offre un burger dans un des fast food dont on emporte plein nos linges et nos cheveux, longtemps comme un relent d’amour, les fragrances tenaces de frites molles huileuses et de bière renversée.

Autrefois nous étions vraiment les rois des cons ! Doux rêveurs combien de temps avons-nous perdu bêtement tandis que le monde se refaisait tout seul en se foutant pas mal de nous ?

Mais c’est fini et désormais on ne passe plus nos samedis à cultiver un jardin en bavardant avec les voisins par-dessus le grillage ….ou pire, à dépenser des sous à la terrasse de « L’orée du bois » en babillant pour des prunes sur le mâchefer d’un boulodrome.

Le bonheur c’est peu de chose : maintenant devant la télé on mange des fraises en décembre et si on veut on ne les paye qu’en fin de mois avec une carte d’homme d’affaires pressé.

$

 

Jean Barbé

 

Publicité
Publicité
Commentaires
A
Très rarement hélas<br /> <br /> joie à ras bord du matin<br /> <br /> sans savoir pourquoi<br /> <br /> <br /> <br /> Haï Ku de Ag Laé
Répondre
A
la foto de flingueurs est extra!
Répondre
A
je n'arrive pas à commenter ce bon texte!<br /> <br /> Au lieu de me contenter de ce demi verre vide, je cherche à verser à ceux que j'aime le plus grand nombre possible de verres pleins...<br /> <br /> je pense à mes gosses qui l'aiment ce monde nouveau qui n'est plus le mien!
Répondre
Publicité