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VITDITS ET AGLAMIETTES
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Vous venez d'atterrir sur le blog d'AGLAMIETTES où sévissent Aglaé, Thomas et Dan.

Chez nous, vous trouverez des textes courts, des aphorismes pas toujours très sérieux, des réparties dites VD, ou « Vitdit » pas vraiment classiques, mais, autant que possible humoristiques.

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A bientôt !

16 janvier 2016

Femme à la... Raison

  Louise Bourgeois Femme à la Maison 1994

 

 

 Pour Antonella qui veut tout savoir,

 

 



Si je mets de côté, pour un instant, les déceptions, les larmes, le surmenage, les engueulades, les regrets, être mère pour moi, c’est avant tout, un flot d’émotion et de fierté quand l’un des enfants apparaît devant moi… invariablement, je pense et je dis : « Comme tu es beau… » et je ressens fortement que rien, quoique j’ai fait par ailleurs, ne dépassera l’importance de ces quatre naissances dans ma vie. Anne, Sophie, Guillaume, Charles… quatre jeunes adultes en bon état de marche dans l’ensemble, mais ce ne fut pas un chemin de roses.

Physiologiquement parlant, ce sont d’assez bons souvenirs. Douée d’une forte nature, la grossesse me satisfaisait pleinement ; bon pied, bon œil, jusqu’au dernier jour, j’ai le souvenir très gai d’une grosse choucroute paysanne, deux heures avant de mettre l’un d’eux au monde. Deux heures après, je me grillais une petite cigarette en cachette de l’infirmière. Quatre jours après je rentrais chez moi.

Les suites des naissances étaient moins bonnes, voire très mauvaises, surtout les deux dernières puisque, dans le même temps, il fallait réorganiser la famille, les horaires du nouveau bébé compliquant la vie des autres. Des nuits insuffisantes suivaient des journées interminables. Un mari très absent pour cause de boulot, un baby blue’s prononcé et à deux reprises, je sombrais dans une véritable dépression… la naissance, attendue dans l’euphorie tournait au cauchemar. Pour le dernier, j’ai passé des semaines entre le nursing et les larmes, n’ayant guère le temps de faire autre chose. Tellement démolie que la petite jeune fille qui m’aidait de temps à autre crut, après la quatrième naissance, qu’un cinquième bébé était en route. Disons en passant que je fis deux fausses couches pas vraiment involontaires quelques mois après. Les temps étaient durs avant les moyens contraceptifs.

Ce qui domine mes souvenirs de ces maternités successives en sept ou huit ans, c’est la confusion. En même temps qu’elles sont un sommet sentimental de ma vie, elles s’installent en quelques années comme une épreuve redoutable. En regard des moments de plénitude et d’émotion, une somme de corvées successives, ingrates, répétitives qui engloutit les journées du matin au soir, au point de m’interdire une réflexion, une lecture… comme dit la formule familière : « je ne m’appartiens plus »… je ne pense même pas à trouver une autre formule d’existence car ma génération de mères considère qu’elle se doit d’une façon entière, implacable, aux chers petits. C’est un problème qui ne se pose pas. Les difficultés de ma vie sont donc non seulement cachées, faute d’être exprimées et partagées, mais elles sont dissimulées à mes propres yeux, vécues avec un sentiment de culpabilité.

En quelques années, et sans cesser d’aimer mon petit monde, j’atteins un degré de fatigue et d’ennui que je ressens encore, à cette minute, en écrivant. A partir de là, je deviens une assez mauvaise mère. Extérieurement, c’est encore invisible, tout le monde mange à l’heure et à sa faim, tout le monde prend son bain le soir, fait ses devoirs, mais je suis terriblement absente… j’ai l’air d’une femme comblée et en fait je manque de tout… D’autres femmes, j’en suis certaine, sont assez généreuses pour vivre assez bien cette situation d’enfermement avec leurs petits enfants à la maison, mais moi, je meurs de faim… j’avais aimé lire, sortir, j’avais eu un métier que j’aimais… et surtout je supportais mal cette aliénation de tous les instants, j’étais émiettée, bouffée, je surnageais d’une journée à l’autre entre épuisement et indifférence. J’avais des comportements contrastés et un peu dingues, passant d’un câlin à les étouffer à des larmes ou à des colères sans mesure. Les vacances n’échappaient pas à cette frustration car, depuis la naissance du 3ème, Guillaume, en tout point adorable, j’ai durement éprouvé que, plus jamais, je ne me sentirai en vacances, c’est-à-dire, libre. Implacablement les corvées de la vie ordinaire cassaient toute tentative de projets improvisés ou de repos complet. Je ne me sentais pas mieux dans une maison au bord de la mer que chez moi. Le sentiment d’être en vacances m’avait déserté…

Demeurent, bien sûr, au fur et à mesure que les enfants grandissent, les souvenirs de moments excellents, des balades en forêt, en cherchant des champignons et en gueulant des chansons qui seront rapidement les chansons de Brassens et celles des Frères Jacques, les discussions autour d’un bon repas quand on guette avec fierté l’éveil de l’intelligence chez un enfant bien doué, les bains, nous avons tous beaucoup aimé nager, dans la mer ou à la piscine, la pêche au lancer avec mon mari le dimanche, le gros bar qu’on oubliera jamais, et la fameuse terrine de pâté de lapin qu’on emportait pour le casse-croûte… le film du dimanche soir dans le lit des parents, les deux petits sous la couette, les deux grandes sur la moquette… les fins de journée d’été dans une flaque de soleil rapetissant de minute en minute, lovés dans l’herbe… Je n’oublie rien de tout ça… c’est pour ça que je dis « confusion »… Je titubais entre grosse bouffée d’amour et dégoût total pour mon existence.

Je ne perdais pas de vue qu’une autre femme à une autre époque aurait pu se sentir heureuse de cette vie sans malheur entre un homme intelligent et monstrueusement fidèle et des gosses pétant de santé. Cette idée transformait mes regrets en remords, ce qui n’est pas mieux.

J’ai fini par la faire cette grosse déprime qui montait année après année, et d’autant plus sévère que, peu à peu, quelques whiskys m’aidaient à finir la journée, me redonnant un ersatz de ressort pour mieux me démolir un peu plus tard…

 

***

J’ai repris un poste d’infirmière à mi-temps à partir de quarante deux ans et l’équilibre de la famille s’est trouvé modifié. Je me suis sentie moins recluse et les enfants qui avaient grandi ont commencé à vivre de façon moins dépendante.
Il restait de multiples frictions entre nous, des ratages, des non-dits, mais d’une manière plus détachée, chacun de nous cultivant à l’extérieur des amitiés, des amours, et bientôt les deux aînées partaient dans une ville de Faculté continuer leurs études. Elles étaient devenues autonomes.

Ce que nous gardions en commun et qui s’était constitué au fil des ans, c’était un langage familial commun, des plaisanteries ésotériques, un humour familial qui faisait presque toujours de nos repas - ça, je ne l’ai pas assez dit - un moment très privilégié. Rien n’est plus agréable, même quand des tensions subsistent par ailleurs, que de sentir l’esprit des ados s’affiner, s’épanouir, fuser en mots bien marrants, en réparties rigolotes, en traits bien pointus… les nôtres avaient hérité d’une tradition familiale riche dans ce domaine, et c’est toujours un régal de les réunir autour d’une table et de les écouter. De cela, nous avons bien profité… Nous en profitons encore, lorsqu’ils nous font le plaisir de s’asseoir autour d’une table… C’est leur père qui fait depuis toujours, la meilleure cuisine de la famille.

Puisque ce texte est destiné à Antonella, qui est certainement une fille du sud, je crois indispensable de préciser à quel point, nous sommes, nous, des gens du nord. Des taiseux. Pudiques jusqu’à la connerie. Parents et enfants. Nous sommes capables de supporter des mois et des années une souffrance dont nous sommes incapables de parler. Non par manque de confiance, mais parce que le moindre déballage de sentiments ou les vulgarités qui accompagnent les disputes en famille nous font horreur. C’est une attitude qui comporte une certaine dignité mais qui entraîne des conséquences lamentables. Et nous, mon mari et moi, avons constamment donné le mauvais exemple. Sur des sujets très importants, je suis sûre que nos enfants n’ont trouvé aucune explication à nos comportements. Jamais une question, jamais une réponse. Je m’en veux beaucoup, et je suis sûre que ça leur fait encore maintenant, beaucoup de mal. Mes plus grands regrets résident dans cette difficulté caractérielle.
Il est des sujets très secrets, dans ma vie pourtant tranquille en apparence, sur lesquels je suis incapable de dire un mot. Peut-être en est-il ainsi pour d’autres mères ? je ne sais pas.

 


Aglaé

(in JYFOUTOU, Collection EMEUTES)

 

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Commentaires
S
Je relis avec émotion ce texte fort qui m'avait frappée à sa découverte : il n'a pas pris une ride !!<br /> <br /> C'est tellement vrai, TOUT....
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D
.<br /> <br /> .<br /> <br /> <br /> <br /> J'aime ce texte, il est lucide, sincère, courageux...<br /> <br /> <br /> <br /> Non ! Tu ne te résumes pas comme certaines femmes à une "pondeuse".<br /> <br /> Faire des mômes n'a jamais été une finalité en soi. La Femme n'est pas un animal.<br /> <br /> Ta peinture, ta sculpture, tes mots, ta personnalité décalée, font de toi une artiste.<br /> <br /> <br /> <br /> Dan<br /> <br /> .<br /> <br /> .....
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