Premier jour d’été
Je l'ai trouvée assise sur la deuxième marche face à sa porte palière, qui palpait fébrilement la doublure de son sac
- Bonjour Mme P., je peux vous aider ?
Pas de réponse.
- Vous cherchez vos clés ?
Dis-je bêtement, constatant que le contenu du dit sac jonchait le sol du palier.
Réponse marmonnée. J'hésite un instant sur la conduite à tenir : l'enjamber serait la seule solution. Nous habitons juste au-dessus (depuis peu) et j'ai besoin d'un truc ou deux volés plus haut. Assise ainsi au beau milieu de la deuxième marche, elle m'en barre l'accès. Un peu cavalier cependant, non ? (sic) D'autant qu'elle n'a vraiment pas l'air dans son assiette. Plus la moindre trace de cette élégance naturelle qui m'avait tant séduit à chacune de nos rencontres depuis notre arrivée, suscitant chaque fois l'envie de mieux la connaître, elle et son univers de solitaire raffinée.
Assise-là sur sa marche, en pyjama ou presque, le regard affolé, perdu dans ce petit sac en toile doublée qu'elle fouille et refouille sans cesse avec une anxiété grandissante, elle a surtout l'air désemparée. Je m'agenouille pour l'aider à chercher et surtout tenter de capter son regard, remarquant côté mur son épaule dénudée.
- Êtes-vous sûre d'avoir fermé à clé, Madame P. ? Avez-vous pris votre voiture ? N'y seraient-elles pas tombées ?
Son souffle devient plus court. Elle se laisse choir côté mur et se met à ronfler. Je la redresse, sa tête se renverse. Elle n'a pas tout à fait perdu connaissance mais ses yeux sont révulsés. Je la redresse encore, appuyant son front dans la paume de ma main droite et soutenant son dos de la gauche pour éviter qu’elle ne se blesse sur le nez de marches supérieurs. Ignorant tout de ses antécédents médicaux, j'hésite entre le malaise vagal et la crise d’épilepsie. Je lui parle, lui caressant le front comme pour tranquilliser une enfant qui se serait affolée inutilement. Sa respiration se calme progressivement. À mes pieds, je trouve ses clés. Je l'abandonne quelques secondes pour vérifier que ce sont les bonnes et jette un coup d'œil circulaire à son intérieur pour repérer la chambre. Elle est à quelques mètres, donnant sur l'entrée.
- Madame P. ? Vous m'entendez ? Madame P. venez, vous allez vous allonger un moment. Madame P. vous pouvez marcher ? Venez Madame P. je vais vous aider.
Nos gestes sont très lents. Elle claudique jusqu'à son lit en s'agrippant à moi. Je lui caresse encore le front comme à une enfant, sans trop savoir qui j'essaie de rassurer finalement.
- Ne bougez pas madame P. je vais chercher de quoi vous rafraîchir.
Son appartement est aussi élégant qu'elle, comme dira plus tard sa copine du rez :
- Madame P. elle est ordonnée.
Sur le porte-serviette de la salle de bain sèche un gant de toilette que j’humidifie et pose délicatement sur son front, comme faisait ma maman quand je piquais de grosses colères. Madame P. semble rassérénée d'être allongée dans ses murs, son souffle est redevenu normal ; elle a juste l'air épuisée et du mal à contrôler ses yeux qui remontent sans cesse sous ses arcades sourcilières.
Je retourne à la salle de bain, ouvre son armoire à glace, lui cherche des antécédents médicaux dans sa pharmacie. Rien qu'une boîte d’antidépresseurs et l'équivalent suisse du Dafalgan. Je fouille le contenu de son sac ramassé à la hâte sans succès, pour finalement découvrir dans le salon un répertoire téléphonique. Trois numéros à la lettre P., un +33, un +1, et un à Genève. Je retourne à la chambre.
- Madame P. Qui pourrais-je appeler ?
Pas de réponse, elle ne dort pas, mais n'arrive pas à parler. Je sors sur le palier et tombe sur le concierge, son voisin, de retour du marché.
- Mme D. du Rez saura vous renseigner.
Je dévale les escaliers. Quelques minutes plus tard, Mme D. m'a rejoint avec son mari et son tensiomètre. 106. Elle lui parle et l'allonge en PLS. Elle est tout aussi fébrile que moi, mais sait bien mieux ce qu'elle fait. J'apprendrai plus tard qu'elle est psychiatre à la retraite, en univers carcéral et hospitalier.
Elle teste ses réflexes et me demande d'appeler le 144 de toute urgence.
Je les laisse - elle et son mari - au chevet de Mme P. pour descendre guider
les secours à leur arrivée.
C'était presque le premier jour de l'été, celui où ma voisine, a fait son AVC.
Tam