Aglaé Vadet....on efface et on recommence...Paris 1950,je me souviens...
On efface et on recommence…
Un rayon de soleil farfouille mes paupières… je n’ai pas fermé les volets hier soir. J’ouvre un œil tout en assommant un vieil air de jazz qui déborde, furibond, du réveil Jazz de mon enfance.
Nous sommes Samedi… Les parents sont partis en week-end et la classe de math élem du Lycée Jules Ferry se passera de ma présence pour les deux heures de logique plus appliquée aux élèves de terminale qu’aux sciences…
Café, toilette. Jupe corolle en vichy à petits carreaux rouge et blanc, style new look de chez Dior, uniforme indispensable en ce mois de mai 1947.
Le copain de toute mon enfance m’attend sur un banc, toujours le même. Pour une balade, souvent la même. Ascension de la Butte Montmartre par la face nord. Pâtisserie en bas de l’avenue Junot… deux éclairs au café pour lui, deux meringues pour moi. Un peu plus haut, notre terrasse préférée : quatre mètres carrés, deux tables. Le patron nous connaît et apporte deux cafés et un paquet de dix cigarettes anglaises.
C’est le moment de déplier « L’Os à Moelle » que J.L. a acheté en descendant du train à Saint Lazare. Rigolades.
On remonte vers les Sacré Chœur. Toujours aussi moche avec son galurin en sucre glace. Une fleuriste pousse une sorte de brouette pleine de fleurs… une rose pour moi… on dévale les escaliers… pas ceux du milieu… les marches sont si plates qu’on descend les trois niveaux en courant.
Je ne sais plus si on s’embrasse… je crois…
Le Boulevard Rochechouart et des centaines de tableaux ringards exposés généreusement sur le trottoir. J.L. est le fils d’un peintre tchèque émigré… il raconte…
Pigalle… son jet d’eau… sa station de métro… comme dans la chanson de George Ulmer. Des haltérophiles gras et musclés entament un baratin si long que nous partons avant la fin.
L’un de nous est riche aujourd’hui. Le métro nous conduit à l’Opéra. Plus précisément au Ciné-opéra, toute petite salle, pour découvrir le film vedette de l’année « Citizen Kane ».
Une vraie claque dans la gueule. Nos parents n’y comprendront rien, c’est sûr…
Lessivés en sortant. Je largue J .L . à la station. Saint Lazare. Il me dit : « T’es belle avec cette jupe-là ». Je hausse les épaules. A la maison, vite… coup de pompe…
La note très douce de mon radio réveil m’extrait d’un mauvais sommeil. Pas de douleurs. Ou presque. Normal. Soixante dix ans. Pas de mémoire non plus.
Mon agenda :
- Neuf heures trente : enterrement de Henri Poupard à l’église de Sainte Adresse.
- Onze heures : Hôtel des finances, RV avec le contrôleur des contributions… un gag dans notre déclaration d’impôts et c’est encore moi qui me coltine le Père Soupe !
- Dix-sept heures : Mammographie au Petit Colmoulin… la dernière était pas très chouette…
Debout. Espérons qu’il reste des filtres à café dans la cuisine.
Aglaé