UN CONTE D'ISABELLE HERBERT !
Le zébre vert
Il était une fois, il n’y a pas si longtemps, la Lycosanthrope de Normandie, dite aussi tarentule verte, une araignée géante et légendaire dont les entomologistes ne parlaient jamais dans leurs congrès officiels, mais toujours entre eux à voix basse et les yeux brillants. Aucun en effet ne l’avait jamais vue, mais tous en rêvaient sur la foi des descriptions circonstanciées qu’en avait donné leur maître à tous, J. H. FABRE, dans son célèbre ouvrage : Souvenirs entomologiques de la côte normande, où il écrit notamment :
« De toutes les aranéides admirables, la Tarentule verte est la plus spectaculaire pour qui a l’extraordinaire chance de l’apercevoir, et la plus attachante pour celui qui, joignant au miracle la ténacité la plus prudente, aura passé plus d’une heure ou deux en sa compagnie. […] Elle vit cachée dans un antre qu’elle se creuse sous les gros blocs rocheux qui parsèment la côte normande dans ses parties les plus élevées, et n’en sort qu’aux nuits de pleine lune pour chasser le lapin de garenne. Son improbable couleur nous fournit un motif encore d’admiration pour l’inépuisable ingéniosité de la nature, en même temps qu’à elle un parfait camouflage sur les pelouses herbeuses où s’ébattent les petits mammifères dont elle est si friande».
Or donc, il était une fois, sur une pelouse pentue au sommet d’une falaise et par une nuit de pleine lune, le dernier spécimen vivant de cette espèce si discrète et si justement fameuse. Pour notre malheur à tous et celui de la biodiversité, la consanguinité inhérente à cette fin de race l’avait dotée, bien mal, d’un double de pattes en portant le nombre à seize, et d’une fort handicapante myopie. Aussi la précieuse rareté, se précipitant vers un caillou blanc qu’elle avait pris pour un couple de lapins opportunément occupé, s’emmêla-t-elle les seize pinceaux et, roulant comme un hérisson en bogue jusqu’à la corniche, alla-t-elle s’écraser, tous membres étalés, sur un gros rocher arrondi en contrebas. On peut voir sur la photo une entomologiste normande avertie par un pêcheur à pied local dresser avec tristesse le certificat de décès avant de procéder aux relevés et prélèvements destinés au Muséum National d’Histoire Naturelle.
Triste fin d’une bien belle espèce à la bien belle couleur. Espérons que la Grande Galerie de l’Evolution lui fera une place de choix entre l’Emeu noir et le Dodo.
Isabelle Herbert