Jacques Perret...La première page de 'Rôle de Plaisance'
Vous connaissez probablement ?
Rôle de plaisance
Jacques Perret
Nous avions annoncé, Collot et moi, notre intention d'aller, par voie de mer, de Honfleur à Santander. Non, rien de particulier ne nous appelait à Santander, mais il n'est pas toujours besoin d'y être appelé pour aller quelque part et il n'est jamais convenable se mouvoir sans but déclaré. Que les gens s'y intéressent ou non, il faut dire où on va. C'est une précaution, un bon usage, une courtoisie pour ceux qui restent. Même au temps que les caravelles fonçaient dans le brouillard, les capitaines disaient d'une voix ferme à leurs épouses :
– je pars pour le Zipangu.
De nos jours, le Zipangu donnerait plutôt l'impression d'un objectif peu sérieux, à peine recommandable mais c'était l'age béni où les mots valaient de l'or et ou les copains se taillaient en virées amphibies et mirobolantes sous l'honorable pavillon du Monomotapa.
C'est donc un préjugé très ancien qui, à l'appareillage, commande aux gens bien élevés de faire savoir qu'ils savent où ils vont, quitte à réserver la volonté divine, à changer de route passé la dernière bouée ou tourné le premier cap.Dieu sait que, justement l'imprévu, bon ou mauvais, se planque volontiers derrière les caps.