"Les MDV "...rémy...
Je me souviens de ma première année d'école maternelle. Le premier jour, ma maman m'y avait emmené en 4L, mais je ne me souviens pas comment on mettait les enfants dans les 4L à l'époque, sûrement simplement assis sur la banquette arrière, je n'étais pas très remuant. Elle n'avait que 25 ans - ma maman, pas la 4L - la 4L était bien plus jeune encore - c'était une jeune fille ! Après quoi je me suis retrouvé au milieu d'une salle grande, surtout que j'étais petit, et couverte au sol de carrés de linoléum blanc, ça grouillait de gosses qui hurlaient en courant dans tous les sens, certains poussaient des jouets devant eux, des voitures, ou des chevaux, ou des chaises, je ne me souviens pas bien, enfin des jouets éducatifs sûrement, il y avait une grande baie vitrée vers l'extérieur. Tout ce foin ne me plaisait pas, mais je voyais bien que je ne pouvais rien y changer. Un jour ma maman m'a raconté qu'elle m'avait vu par cette grande baie, debout au milieu et l'air pas sûr de savoir comment réagir, et qu'elle avait eu le cœur serré mais qu'elle voyait bien qu'elle ne pouvait rien y changer. Elle avait raison, je ne savais pas comment réagir.
Plus tard il a fallu aller faire pipi, il y avait trois cabinets côte à côte, avec des portes pas complètes, les dames, c'étaient les maîtresses mais je ne le savais pas encore, accompagnaient ceux qui avaient un pansement autour du zizi, parce que c'est l'âge où on circoncit les phimosis. Je ne me souviens pas si une dame m'avait déshabillé ou si on m'avait laissé faire tout seul. Je me souviens que le manque d'intimité m'avait mis mal à l'aise, mais que j'avais bien vu que là non plus, je ne pouvais rien y changer. Je me souviens que j'avais demandé à mes parents comment on pouvait faire pipi à travers un pansement, et qu'ils m'avaient répondu que le pansement était autour du zizi et pas devant, et je me souviens que je trouvais l'idée effrayante et dégoûtante, et que le fait que ça ne me concerne pas directement n'avait pas suffi à me rassurer. Toute ma vie j'ai détesté les cabinets des écoles, mais il faut dire que je n'en ai connu que des inconfortables, froids et même pour certains, crasseux.
Un autre jour, on était en classe ; j'étais assis à la table de gauche de l'avant-dernier rang de la file de tables de droite, c'est-à dire côté couloir et porte, pas côté fenêtres. On a reçu une photocopie avec quatre fois le même sapin, et un feutre, et la maîtresse nous a dit de dessiner un ballon au-dessus, en-dessous, à gauche et à droite du sapin. C'était pour savoir si on connaissait tous ces mots. Ensuite elle a dit venez me montrer ce que vous avez dessiné, on s'est levés et on a fait la queue pour lui apporter nos feuilles, les plus agités s'agitaient et criaient moi maîtresse moi maîtresse, il y a un mot pour ça en allemand : sich vordrängeln, mais il manque en français ; en tout cas la maîtresse corrigeait les copies au fur et à mesure, en écrivant "bien" en rouge dans un coin. Ma voisine avait fait de tout petits ballons remplis, en fait des boules de pétanque. Elle avait un feutre violet, moi bleu foncé. J'avais dessiné le ballon à la droite du sapin au lieu d'à droite du sapin, et à la gauche au lieu d'à gauche, mais évidemment ni la maîtresse ni moi ne pouvions expliquer l'un à l'autre des subtilités pareilles, elle avait seulement rayé les deux cases en rouge au lieu d'écrire "bien", et ça m'avait laissé perplexe. Les autres avaient tous eu bon. Depuis je me souviens absolument parfaitement de tous les moments de ma vie où j'ai eu honte. Ça en fait beaucoup et c'est très désagréable.
Une autre fois on m'a emmené dans une petite pièce, il y avait un monsieur qui m'a donné toute une feuille de petits dessins à recopier. J'en ai fait plein mais il y en avait un que je n'ai pas compris, il y avait des traits ondulés comme si c'était de l'eau, mais pas horizontaux, plus tard j'ai fini par me dire que c'étaient des cheveux, en tout cas j'ai passé beaucoup de temps dessus et ça m'a embêté que le monsieur vienne m'interrompre parce que j'en avais repéré plus loin dans la liste que j'aurais pu recopier sans difficulté. Des années après on m'a expliqué que ç'avait été des tests psychologiques et que j'étais passé directement en troisième année de maternelle, sans faire la deuxième. Moi je ne me souviens même pas d'une différence entre les deux.
Je me souviens aussi d'une copine avec qui on chantait Malbrough s'en va-t-en guerre, et une autre chanson dont je ne me souviens plus, assis dans la cour de récré, qui ressemblait plutôt au jardin d'une maison normale - la cour, pas la copine -, dans un coin calme et secret sous une fenêtre. Une autre fois on avait parlé de la grande école et on était tristes d'être séparés. C'est comme ça que je sais que c'était en troisième année.
C'est tout ce dont je me souviens. Ça ne fait pas beaucoup pour deux années de vie. Et c'est pas très riant.