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VITDITS ET AGLAMIETTES
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Vous venez d'atterrir sur le blog d'AGLAMIETTES où sévissent Aglaé, Thomas et Dan.

Chez nous, vous trouverez des textes courts, des aphorismes pas toujours très sérieux, des réparties dites VD, ou « Vitdit » pas vraiment classiques, mais, autant que possible humoristiques.

Laissez-nous un commentaire si vous avez le temps et l'envie.

Les commentaires sont accessibles sous chaque post de nos auteurs.

Une réponse vous sera adressée (sauf caprices de l'informatique toujours possible) !

vitdits-ecran

Participez sous la rubrique : « Le Plumard » réservée à nos amis et invités.

A bientôt !

4 juillet 2011

Aglaé Vadet...'Une respectabilité bien gagnée...'...et BONSOIR!

 

visage-femme-soins 

 

Quand je l’ai connue, elle s’appelait Suzanne . Elle arrivait de la campagne où ses parents s’exténuaient chaque année autour de la récolte des fleurs de jasmin achetées à vil prix par les parfumeurs de la région de Grasse. Un hôtel cossu au dessus de Toulon cherchait cette année là, quelques femmes de ménage vives et plaisantes à voir, et Suzanne fut embauchée pour toute la saison d’été.

 

A dix- huit ans, elle était noire de cheveux, et blanche de peau, une peau non pas mate, mais blanche et fine comme de la porcelaine. Son corps était longiligne, comme rarement chez les méditerranéennes, et la poitrine haute et menue. Son visage laissait deviner ce qu’il deviendrait plus tard, légèrement anguleux, le regard décidé sans brutalité, les traits harmonieux. C’était une femme lisse.

 

A l’hôtel, parmi les petites bonnes plus rustiques qu’elle, Suzanne accrochait le regard des employés et aussi, des clients. A ma connaissance, aucune amourette n’avait encore sérieusement ému la jeune fille jusqu’au jour où un client de passage retint son attention brutalement. Ce fut un grand coup de cœur. Lui, environ trente cinq ans, une stature moyenne, un visage plaisant, deux yeux amusés largement ouverts sur la vie, était régisseur dans une équipe des cinémas Gaumont. C’est à ce titre qu’il arrivait de Paris et se dirigeait vers Tunis puis Carthage. Le bateau qui devait l’emporter partait de Toulon dans quarante huit heures. Il avait deux jours devant lui pour convaincre Suzanne d’abandonner son travail et de l’accompagner. Ce n’était pas fait pour arrêter un homme dont le métier consiste à procurer dans les meilleurs délais à un metteur en scène ,soit un traîneau et vingt quatre chiens pour une prise de vue sur la neige, soit deux homosexuels en tutu pour une séquence rigolarde, ou un tibia de mammouth pour une reconstitution historique. Quant à Suzanne, il n’eut que la peine de se baisser pour la cueillir. Sans prévenir , sans même demander ses gages, munie d’un sac de voyage pour un très petit voyage, elle quitta pour toujours l’hôtel de ses débuts, au bras de cet homme astucieux qui n’hésitait pas une seconde devant une bonne affaire, sans trop de scrupules.

 

Dès que, à Carthage, l’équipe de cinéma commença de travailler en attendant l’arrivée des acteurs, Suzanne se retrouva de plus en plus souvent seule . Quoique régisseur, on en n’ est pas moins homme, et le bataillon de jolies filles qui tournaient autour de lui, ne laissait pas indifférent le bel amoureux de Suzanne. En quelques jours, malgré un chagrin très réel, elle décida de reprendre le bateau. La maison Gaumont paya le billet de retour. Elle n’avait aucune idée de ce qu’elle pourrait faire après son retour….

 

Debout sur le pont, accoudée au bastingage, vêtue comme une jeune fille sage, ou presque, dans un chagrin silencieux, elle ne sait pas qu’elle est sur le point de faire une rencontre décisive… Un petit homme passe près d’elle, en uniforme blanc , coiffé d’ une casquette de marine . Elle saura bientôt que c’est le chef bagagiste du paquebot qui la transporte. Il s’appelle Robert. En raison de son métier, Robert voit tout :tout ce qui se passe sur le bateau, tout ce qui peut être manigancé par lui au profit des uns ou des autres, tout ce qui va manquer à ce célibataire sans charme, ou à cette vieille dame qui s’ennuie, bref tout ce qui peut rapporter de l’argent à Robert. Et il voit Suzanne. Son corps mince, ses cheveux épais, cette jolie peau opaline, et la souffrance discrète du beau visage.

 

-Excusez moi de vous déranger Mademoiselle , avez vous retenu votre place pour déjeuner ?

-Je ne savais pas que…

-Ce n’est pas obligatoire, mais vous seriez beaucoup mieux placée…si vous permettez, je vais m’en occuper moi-même….

-Je vous remercie…je n’ai pas du tout l’habitude…merci encore.

-Je vous ferai signe vers midi.

-Merci

Vous n’avez besoin de rien ?

-Non. Merci.

 

Les paquebots ont presque disparu sous la forme où ils existaient à cette époque, avant la dernière guerre. Ceux qui choisissaient de voyager en bateau, surtout les personnes seules, désiraient pour quelques jours faire de leur séjour à bord, un moment exceptionnel, délicieusement préservé, et raffiné tant pour la table que pour des plaisirs plus intimes. Chaque voyageur organisait la journée à son goût entre les piscines, les chaises longues, les salles de jeu, les pistes de danse, de préférence en compagnie d’un partenaire déniché au hasard des rencontres. Duos mouvants, de quelques heures ou de quelques jours, liaisons sentimentales ou vénales, la plus entière discrétion était de mise.

 

Son service terminé, vers cinq heures de l’après- midi, Robert s’était, comme par hasard , trouvé sur le chemin de la jolie Suzanne. Il avait expliqué avec tact et un certain humour que son travail le conduisait le plus souvent sur les paquebots célèbres qui traversaient l’Atlantique du Havre à New York en cinq ou si jours Son travail lui plaisait et il en parlait avec drôlerie et vivacité.

 

-Vous ne cherchez pas du travail, par hasard ?

-ça dépend. Quel travail ?

-Du travail sur les bateaux, c’est la seule chose que je connaisse.

  • Vous voulez dire comme femme de chambre ?

  • Non. Mieux que ça.

  • Pas à la cuisine ,en tout cas.

  • Mais non, pas à la cuisine. Plutôt accompagnatrice. D’une dame seule. Ou d’un monsieur seul.

  • Accompagnatrice ?

  • Une personne seule et riche, comme le sont souvent nos meilleurs clients, paie très cher la compagnie d’une jolie personne comme vous. Très vite, vous leur devenez indispensable à chaque heure de la journée. A votre bras, le temps de la promenade, en face de vous à table, allongé près de vous dans une chaise longue, ils ont le plaisir d’être accompagné d’une belle personne, élégante, qui les égaient par leur conversation et leur jeunesse. Un monsieur plus très jeune appréciera vivement de faire valser, le soir, une femme de vingt ans dont l’élégance attire les regards.

  • Mais je ne sais rien faire de ce que vous dites. Je n’ai ni robes ni bijoux. Je n’ai pas du tout, mais pas du tout, de conversation, et je serai affreusement intimidée d’avoir à me trouver en présence des gens fortunés et distingués dont vous me parlez.

  • Et si quelqu’un vous apprenait ce qui vous manque, si moi, Robert, simplement parce que je vous trouve très sympathique, je vous aidais à surmonter quelques difficultés.Vous savez bien qu’il y a toujours quelques difficultés devant un nouveau tournant de la vie ?

  • Bien sûr. Mais pourquoi feriez vous ça pour moi ?

  • Pour la meilleure des raisons. Parce que j’y crois. Comme un entraîneur qui voit arriver un jeune poulain racé et qui mise sur lui par ce qu’il sait que, devant lui, il a un futur crack. J’espère ne pas vous choquer par cette comparaison ?

  • Non. Je pense que c’est même assez gentil. Un petit poulain, ça me plait bien.

 

Et Robert nota, sans rien dire, qu’elle souriait pour la première fois. Il décida d’en rester là pour le moment  .Ils convinrent seulement de se revoir après le débarquement.

 

 

Robert devint pendant dix ans un merveilleux chaperon pour Suzanne. Il en était amoureux depuis la première minute de leur rencontre, mais avec une astuce consommée, il n’en laissa rien paraître .Il choisissait la garde robe distinguée sans sévérité qui convenait à la situation, des bijoux légers pour ne pas la déguiser en douairière, une coiffure en chignon dans la nuque qu’elle gardera toute sa vie, même quand ses cheveux seront devenus blancs comme une cascade de douceur.

 

A la première rencontre de Suzanne et d’un nouveau partenaire éventuel, au commencement de chaque voyage, Robert faisait les présentations d’usage . L’aspect sexuel de la situation dont il est honnête de parler, n’était jamais effleuré. Et les questions d’argent non plus. En dix ans, Suzanne devint fort élégante et fort riche Sans rendre de compte à personne. Robert fut un souteneur bénévole. Pour la beauté du geste. De son côté, entre pourboires et petites combines, le bruit courait dans les coursives que notre homme gagnait plus d’argent que le Capitaine.

 

Les prestations de Suzanne étaient de plus en plus chères et ses partenaires de plus en plus riches. Le revers de la médaille, c’est qu’ils étaient de plus en plus vieux et de plus en plus laids. La rançon de la gloire, en quelque sorte. Suzanne ruminait ce matin là ces fortes vérités, en attendant la dernière recrue de Robert, et elle vit arriver un homme grand et maigre, racé, cheveux blancs, œil attentif, soixante dix ans environ , bref, un ensemble plaisant. Il se présenta lui même, Henri Tajan.

 

Henri Tajan était antiquaire à Nice depuis de longues années et sa femme l’avait secondé jusqu’à sa mort, deux ou trois ans auparavant. Il traversait l’Atlantique pour accompagner quelques meubles de prix et les livrer en mains propres à un américain féru d’antiquités.

 

Robert, à qui rien n’échappait, prévint Suzanne. Un bon coup pour toi, si tu manœuvres sérré, Suzon, cet homme là n’est pas un client ordinaire. Il ne cherche pas simplement une jolie nana pour agrémenter le voyage…ouvre bien grands tes yeux et tes oreilles… sois discrète et distinguée…plutôt du charme que du sexe…. Ecoute ton Robert, il a du flair comme un épagneul breton devant un gros gibier.

 

Henri Tajan était un homme délicieux que l’âge avait policé à l’extrême. Son but n’était pas de remplacer une femme qu’il n’oublierait jamais, mais de choisir une compagne facile à vivre, qui l’aiderait dans le magasin d’antiquités à Nice, et l’accompagnerait dans ses voyages. Lui et Suzanne s’entendirent parfaitement. Il gomma sans le dire les aspérités plébéiennes de la jeune femme. Il remplaça ses bijoux de demie- mondaine, colliers de chiens, sautoirs, perles fines, par des bijoux modernes de créateurs qu’elle ne verrait pas sur leurs clientes ,lesquelles brillaient de partout à la moindre occasion. Un dernier point très important,il la débaptisa,et elle devint Karine pour tout le monde, jusqu’à la fin de sa vie.

 

 

Quand Henri Tajan mourut ,dix ans plus tard, les cheveux de Karine, toujours aussi beaux, longs et blancs assortis à son teint pâle, lui conféraient un visage remarquable. Elle portait des robes demi longues, en jersey, moulantes sur un corps mince. Elle avait appris à connaître les meubles anciens, les styles, les restaurations plus ou moins habiles, elle savait comment acheter un meuble et, plus difficile, comment le vendre. Tajan lui avait parfaitement fait comprendre qu’un acheteur doit toujours avoir l’impression de faire une bonne affaire. Toujours à portée de main, toujours amoureux en secret, Robert ne s’était jamais éloigné d’elle Sa carrière sur les paquebots se terminait. Il était resté mince et sec comme une sardine. Karine et lui formèrent un drôle de couple autour d’un projet astucieux.

 

Inconnus de tout le monde, dans la bonne ville du Havre, ils ouvrent un magasin d’antiquités un peu après la fin de la dernière guerre. La reconstruction de la ville, bombardée sévèrement par les allemands puis par les anglais, se termine peu à peu. La plupart des maisons sont réaménagées par leurs propriétaires, les appartements neufs ont besoin de meubles, Karine et Robert arrivent au bon moment.

 

Dans les années mille neuf cent cinquante, le style de mobilier contemporain, entre formica, tables en forme de bidet, lampadaire nouille aux lampions multicolores était une véritable insulte pour les yeux. Quelques années plus tard, le design aidant, les meubles scandinaves clairs ,lisses et purs apporteront une révolution souhaitable dans ce domaine, mais, si j’ose dire, le mal était fait. Le gratin de la bonne société havraise ne rêva qu’ameublement ancien. Haute époque pour les plus riches, longue table Louis XIII, chaises  inconfortables à dossier haut et droit pour les autres, Louis XV ou XVI, tapisseries, l tissus assortis, un peu de mobilier d’église pour les lampes. J’ai même vu un crucifix monté en lampe!

 

Karine et Robert, Monsieur et Madame Robin, trouvaient à leur pieds un vivier d’une exceptionnelle richesse. Les circonstances imposaient qu’elle réajustât son look dans le sens d’une distinction et d’une sobriété accrue. Ce qu’elle fit. Robe fluide, longue, beige, ras cou, châle aux couleurs d’automne chaussures Richelieu, rares bijoux Le magasin fut vite garni de quelques meubles rares, rideaux vénitiens un peu lourdingues mais qu’importe, sur les meubles des bouquets d’hortensias séchés, aux teintes cadavériques, mais d’une laideur tellement distinguée! C’est à ce moment là qu’ils renoncèrent à se tutoyer.

 

Les jeunes femmes qui achetaient des meubles étaient dans l’ensemble des personnes d’extraction modeste dans ce port où tout le monde provient du commerce. Karine leur apparut comme la mère infiniment distinguée qu’elle n’avait pas eue. Robert qui avait côtoyé le monde de la marine avec ses aventures délectables et ses anecdotes piquantes charmait les clientes qui le trouvait spirituel en diable. Ils n’eurent bientôt plus de clients mais uniquement des amis. Les affaires étaient florissantes et les soirées furent délicieuses. Quelques commissaires priseurs de la ville se joignirent au groupe, puis des courtiers en café ou en coton, puis des médecins. Karine fut la marraine du fils d’un chirurgien dont elle avait meublé intégralement une immense villa du bord de mer. A partir de ce baptême, Karine assista chaque dimanche, à la grand -messe de 11heures. Sa générosité était proverbiale auprès des associations humanitaires dont s’occupaient avec ferveur plusieurs de ses clients et amis. Les Robin firent partie du Rotary Ils ressemblaient maintenant à un vieux couple de nobliaux raçés jusqu’au bout des ongles, qui consentaient à se séparer de leurs meilleurs meubles pour s’amuser et gater leurs amis.

 

Karine et Robert sont devenus le noyau dur de la bonne société du Havre. Ils sont la référence du bon gout et des soirées charmantes où les conversations, comme une eau tiède, circulent sans heurts dans l’âme des participants. Comme certains personnages de Proust tenant le haut du pavé, que rien ni personne ne peuvent déstabiliser, Madame Robin se permet des saillies langagière qui font mourir de rire les notables, quand elle lance , passé minuit : « Robert, quand vous aurez fini d’emmerder nos amis avec vos histoires de marin, allez donc nous chercher les deux bouteilles de Pol Roger, qui attendent dans le frigidaire. »

 

Aglaé

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires
M
au gré du vent de la vie,<br /> très très appréciée<br /> Merci
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A
...dans mon projet de bloguer quelques trucs un peu anciens que mes lecteurs du blog ne connaissent pas...d'autre part, j'ai bien reçu le monologue d'RV et je lui fais un sort dans les jours qui viennent! Merci!
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L
Merci pour le dessin et ce texte que je n'ai pas laché.
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H
... que j'avais beaucoup aimé !<br /> <br /> RV
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A
Marie Laurençin.<br /> Le texte est l'exercice préparatoire rédigé avant'Suzanne', court roman écrit en 2005(?) et toujours présent dans la Collection Emeutes
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