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VITDITS ET AGLAMIETTES
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Vous venez d'atterrir sur le blog d'AGLAMIETTES où sévissent Aglaé, Thomas et Dan.

Chez nous, vous trouverez des textes courts, des aphorismes pas toujours très sérieux, des réparties dites VD, ou « Vitdit » pas vraiment classiques, mais, autant que possible humoristiques.

Laissez-nous un commentaire si vous avez le temps et l'envie.

Les commentaires sont accessibles sous chaque post de nos auteurs.

Une réponse vous sera adressée (sauf caprices de l'informatique toujours possible) !

vitdits-ecran

Participez sous la rubrique : « Le Plumard » réservée à nos amis et invités.

A bientôt !

31 décembre 2010

'La note imprévue'...un conte du Samovar pour la Sinsilvestre...

notes

La Note Imprévue

(Dédié à un ami Conteur...)



Paul aimait Montmartre ; il aimait sa rue Lepic, sinueuse, pentue, fidèle et amicale, sa petite maison. Mais en fait, il n'aimait que les histoires, celles qu'il entendait, celles qu'il inventait. Tout le reste n'était qu'un décor ou une protection, qui lui permettaient de se livrer à son occupation favorite : raconter.

Mais cela faisait si longtemps. . .


Ah ! Il aimait le jazz aussi, à cause de son fils Daniel. Celui-ci l’avait convaincu de le laisser aménager le sous-sol en club de jazz, « La Clé du sous-Sol « pour y inviter ses copains et faire de la musique toute la nuit. Paul, stratégiquement « travaillé » par sa femme, avait même fait insonoriser l’endroit… Il allait y passer un moment, parfois, surtout pour voir son fils d’ailleurs. Mais peu à peu, il en était venu à aimer cette musique, qu’il avait trouvée « sauvage et agressive » au début…


Daniel, de son côté, stratégiquement « travaillé » par sa mère, avait proposé une idée à son père :

- Pourquoi tu ne viendrais pas nous raconter des histoires ?

Froncement de sourcils et rire sarcastique du père.

- Tu patines dans la semoule, fiston ! Ils vont me jeter des tomates ou me taper dessus à coups de trompettes!

- Pas du tout ! Je leur ai parlé de toi et de tes histoires... ça les intéresse. Et puis… ça fait un bail que je n’en ai pas entendu, moi, de tes histoires...

- Ah ! Tu pourrais…

- Essaie au moins une fois ! Si ça ne leur plait pas, on n’ira pas plus loin, OK ? Paul sentait bien la demande muette de  son fils, mais. . . affronter tous ces jeunes loups ? … Ouais. . . au fond, il avait fait bien pire, pendant la guerre.

- OK, fiston. On va tenter le coup.

Il eut droit au grand « sourire-heureux » de son fils.   

- Merci ! J’organise tout ça pour samedi!

- Combien de temps tu me donnes?

- Une heure, ça te va?

- Bon. Je vais réviser mes histoires…



Et, le samedi suivant, un auditoire de fanatiques de jazz eut droit à un entracte de fantastique, de voyage et de rêve… Daniel était ravi. Son père était surpris !

- Je ne comprends pas !

- Simple, Papa ! Tu as le don d’aller chercher l’enfant en eux, et de lui parler. C’est rare, un don comme ça !

- Ouais… Bof…

Il grommela quelques mots dans sa moustache pour cacher qu’il était flatté. Sa femme, pas dupe, lança de la cuisine :

- Mais dis-le donc, que tu es content! Depuis le temps que tu n’en racontes plus.

Paul sourit à son fils :

- C’est vrai, je suis content. Merci.

- De rien, Papa. On recommence samedi prochain, s’pas ?



Une sorte de rituel s’installa. L’heure du Conteur devint une habitude à la boite et s’il dépassait parfois son  heure, personne ne s’en plaignait. Peu à peu, Paul arriva plus tôt que l’heure prévue. Il restait au bar, sirotait une bière, dans les sonorités cuivrées de la musique. Il se surprit à aimer cette musique, les accords, les phrases mélodiques parfois hachées, parfois tendres, ou mélancoliques ou sensuelles...


Peu à peu aussi, sa réputation dépassa le groupe habituel des amis ou clients de son fils. Cette « célébrité » l’obligea d’ailleurs à faire agrandir la salle, et à faire aménager un escalier avec une porte donnant directement sur la rue.

 

Et, d’une séance hebdomadaire, il était passé à trois « soirées » par semaine… Trapu, bougon ou charmeur suivant l'humeur ou l'auditoire, il tenait sa cour, prés du bar. La clientèle était de plus en plus « mélangée », entre fanas de jazz et amateurs d’histoires. Dans le quartier et chez les connaisseurs "étrangers", il était même considéré comme le roi des conteurs,  sinon le conteur des rois – le nombre de rois amateurs de contes ayant dramatiquement diminué. Un ouistiti dépenaillé et moderniste avait même lancé un jour que, pour les contes, il était toujours en Paul position...


Il siégeait dans le Fauteuil du Conteur, prés du bar. Ses yeux bleus faussement tristes semblaient regarder plus loin que les tables, plus loin que les murs : de lointains soleils miroitants, des îles mystérieuses d'un autre monde, la résonance inlassable et parallèle des vagues sur des rivages interdits où la lune tâche la mer de reflets incertains et mobiles ? ... Avec sa pipe rivée à sa  bouche,  ses cheveux blancs en brosse, sa barbe taillée au carré, il faisait vraiment vieux baroudeur, Paul. Et des gens venaient de très loin, à présent, même de province, pour l'écouter. La musique mystérieuse du bouche à  oreille lui assurait la présence fidèle et passionnée non seulement des habitués de la Clé du Sous-sol, mais aussi celle de conteurs, débutants ou réputés, les seuls qu'il estimait dignes de lui.


Paul régnait ainsi gentiment sur la mémoire du monde, de son monde, toutes ces histoires venues du fond des âges, du fond des provinces, de nulle  part parfois, imagination libre et dansante sur le fil des mots.


Il lançait quelquefois un défi, sans récompense, pour la gloire, pour le plaisir, pour voir les yeux briller derrière les chopes, les têtes se tourner pour mieux l'entendre.

- Qui raconte, ce soir ? , demandait-il avec un sourire félin et gourmand.

Et il y avait toujours quelqu'un pour relever le défi : que ce soit un conteur chevronné ou un amateur attiré là par la rumeur discrète, quelqu'un se levait. Un jeune homme inconnu, encombré d'un téléphone portable ou d'une mallette, racontait ses rêves de conquête ou ses échecs. La voix douce d'une femme du quartier parlait du temps où la Ville était encore vivante, où les gens se parlaient au lieu de "communiquer», où l'on riait plus qu'on ambitionnait... Un Conteur venu de loin disait une histoire venue du fond des temps, sur un modèle archi-connu, mais que sa magie transformait en quelque chose de fantastique, d'envoûtant, ou d'inquiétant...


Mais la plupart du temps, c’est lui qui « régnait » : il puisait alors dans sa réserve personnelle d'histoires, et emmenait l'auditoire vers l'inconnu, l'étrange, l'insolite ou le familier devenu magique. Il animait des images si fascinantes qu'un verre déplacé sur le comptoir résonnait comme un coup de canon  - sans parler du  coup d’œil cinglant jeté au coupable de ce crime de lèse-silence. Il jouait de son art comme Mozart composait : avec une facilité apparente, gracile et aérienne, mais qui cachait une science profonde. Il s'ajustait à son auditoire, infléchissait ses récits, leur ton, leur style, suivant les ondes qui circulaient entre eux et lui, ajoutant un brin d'ironie ou une touche d'émotion selon les cas. Il appelait ça ses "harmoniques".


Tradition familiale, les meilleures histoires étaient toujours réservées pour Noël. Le gui festonnait le bar, des guirlandes volaient de lampe  en lampe jusqu'aux murs et à l'arbre de Noël placé prés de la scène. Ce soir-là, vers  dix heures, la salle était pleine, l’ambiance chaude. Le vin chaud – cuvée personnelle de Paul - avait été servi à tout le monde. Depuis maintenant cinq ans, Paul avait instauré la coutume du « Défi de Noël ». C'était l'heure. De son fauteuil, Paul se pencha et lança :

- Alors ? Qui va nous raconter l'histoire de ce Noël-ci ? Pas d'histoire, pas de vin chaud !

Une cascade rires déferla. Une jeune fille aux longs cheveux blonds lui cria:

- Tu ne le feras pas, Paul ! Tu aimes trop le vin chaud !

- Peut-être, mais j'aime encore plus les histoires. C'est la tradition ; c'est MA tradition ! Et il se redressa en disant cela. "Elle remonte plus loin que toi, fillette, et il faut la respecter."

Qu'y avait-il dans les yeux brillants de Paul à ce moment-là ? Quels souvenirs, enfouis plus loin encore que ses histoires.

- Il a raison, intervint Louis, un homme presque aussi âgé que Paul. "Il y a très longtemps que... »

- Non, le coupa Paul. On n'est pas là pour se rappeler les années mortes, les souvenirs enterrés. On est là pour raconter et écouter.

- Alors, pourquoi tu n'y vas pas, Louis ? demanda la jeune fille blonde, avec un sourire malicieux.

- Oh moi, je ne connais que mon magasin et ma comptabilité...

- Alors, qui relève le Défi ? relança Paul d'une voix forte." Il nous faut une histoire!"

L'assistance se taisait. Des coups d'œil de côté s'échangeaient par-dessus les chopes et les bouteilles. Tous évitaient le regard de Paul. Dehors, le vent soufflait, une neige paresseuse et lourde commença à tomber. La gêne s'épaississait de seconde en seconde...


Soudain la porte s'ouvrit en grinçant; le vent s'engouffra en sifflant, secouant les décorations. Toutes les têtes se tournèrent vers la porte...


La femme avait un visage très pâle, des cheveux clairs et des yeux impassibles. Elle parcourut la salle du regard, comme étonnée de voir tant de monde dans ce petit café. Elle serra sa cape autour de ses épaules. Sous cette cape, elle portait un tricot à col blanc et des pantalons noirs ; ses bottes dégoulinaient de neige fondue. Ses talons claquèrent sur le dallage alors qu'elle s'avançait vers le seul siège libre : le Fauteuil du Conteur ; Paul s'était levé pour se placer prés de l'arbre de Noël et observait la scène d'un œil tranquille.

 

- C'est le seul siège qui reste ? demanda la femme.

Sa voix était douce, un peu chantante, en harmonie avec les guirlandes et les décorations.

- Oui, répondit Paul. Mais si vous vous y asseyez, vous devrez nous raconter une histoire pour Noël.

- Je peux le faire, si vous le souhaitez.

Elle retira sa cape et s'installa dans le Fauteuil.


Suzanne déposa un verre de vin chaud devant elle et lui dit :

- Ca va vous réchauffer un peu.

Un sourire lumineux apparut sur le visage de la femme. Elle but une gorgée et reposa le verre prés d'elle. Puis elle posa ses mains sur ses genoux, releva la tête et regarda l'auditoire. Tous attendaient. Ses yeux semblaient voir plus loin que les murs quand elle commença :

- Noël ? ... Cela nous parle des enfants. L'histoire que je veux vous raconter se passe dans une école maternelle avec des enfants de cinq ans. C'était la période de Noël et c'était la leçon de musique. Groupés autour du piano de la jeune institutrice, les enfants chantèrent d'abord quelques chants de Noël, puis la maîtresse leur indiqua chaque note de la portée et comment elle les lisait sur la partition. Ensuite vint le moment pour les enfants de mettre en pratique leur savoir tout neuf. Ils devaient former des groupes, décider quelle note ils seraient, puis la représenter devant les autres.


Les rires et les discussions allèrent bon train alors que les enfants s'organisaient. La maîtresse devait être efficace car les enfants employaient couramment le nom de toutes les notes.


La femme à la cape fit une pause et regarda l'horloge:

- En un tour de la grande aiguille, les enfants étaient prêts à montrer leur note. Le premier groupe forma une ligne sur le plancher; un des enfants s'enroula comme une boule à une extrémité, et un autre se mit en diagonale à côté de lui.

- Nous sommes une croche ! crièrent-ils joyeusement. Notre note est rapide. Nous sommes pleins d'émotion et de joie !

La classe applaudit.


Le second groupe forma aussi une ligne sur le sol, mais cette fois sans la diagonale; ils expliquèrent qu'ils étaient une noire; leur musique était solennelle, ordonnée et déterminée. Des applaudissements saluèrent à nouveau la présentation.


Le troisième groupe s'allongea sur le sol pour constituer une grande forme ovale.

- Nous sommes une ronde, dirent-ils fièrement, la plus longue de toutes les notes; nous arrivons à la fin du morceau, quand les émotions s'évaporent et se transforment en souvenirs, et qu'il est temps pour les sons de rentrer chez eux , de refermer la portée.

Une nouvelle salve d'applaudissements salua le groupe.


Mais il restait une enfant qui ne faisait partie d'aucun groupe. La fillette n'était pas populaire, et manquait souvent l'école à cause de sa santé. Sous les regards de toute la classe, elle marcha jusqu'au centre de la pièce. Chaque pas semblait pénible et quand elle s'assit, jambes croisées sur le sol, dans son uniforme bleu soigneusement arrangé sur ses genoux, on aurait dit qu'elle était soulagée d'y être arrivée.

- Quelle note vas-tu être ? demanda l'institutrice.

Elle savait que l'enfant aurait dû faire partie d'un groupe, mais qu'elle-même n'avait pas fait ce qu'il fallait pour cela.


La fillette restait assise, calme et complètement immobile, fixant le sol. La maîtresse se tourna vers les autres élèves :

- Quelle note pensez-vous que Nathalie nous montre?

Une tempête de  cris déferla, alors que  garçons et filles lançaient de tous côtés une note différente pour l'associer à leur camarade.


L'institutrice fronça les sourcils, inquiète. Elle se souvint avoir vu, dans le dossier de Nathalie, un rapport disant qu'elle risquait de ne jamais atteindre l'adolescence…  Son silence, son immobilité étaient-elles dues à la maladie ? La classe s'était calmée et attendait, impatiente, que Nathalie parle. Celle-ci releva finalement la tête:

- Je ne suis pas vraiment une note de musique, dit-elle d'une voix claire. Je suis le "silence" entre les notes. Je peux être aussi court qu'une croche ou aussi long qu'une ronde. Je suis le silence à la fin du morceau, qui flotte et chante encore dans votre esprit, je suis la tranquillité de la nuit quand vous dormez ; je suis tout ce qui est à la fin..."


La femme à la cape leva les yeux vers les clients  silencieux :

- Et c'est la fin de l'histoire.


Lentement, elle se leva du Fauteuil du Conteur, remit sa cape sur ses épaules et se dirigea vers la sortie.

Un jeune homme, prés de la porte, lui tendit la main et demanda timidement :

- Vous étiez l'institutrice?

- Non... J'étais l'enfant.

Et elle sortit.

Dans la salle on aurait pu entendre un flocon de neige tomber.


***

Hervé Baudouy


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Commentaires
S
Tu as surement raison, je perds la boule ces temps-ci... sans doute à force de poser la tête sur les plaques à induction pour favoriser le mitonnage de l'inspiration !
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H
Dan,<br /> Jolie, cette phrase !<br /> <br /> Pour le mitonnage : <br /> cuisinage et mitonnage sont-elles les deux mamelles de l'écriture ?<br /> <br /> RV
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A
...on est tous bien d'accord...0O :-)Et si tu dis que ça mitonne gentiment, on est ben heureux!<br /> je re-poste un samovarscript dans peu de temps!
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D
"L’amour ne réclame rien mais on lui doit tout". <br /> I.E.
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H
Pour Sylvie : <br /> Il me semblait l'avoir passé sur EKK, pourtant.<br /> J'aime le jazz... et les contes :-)<br /> <br /> Pour Ile.<br /> Les gens du Québec que tu connais sont des gens bien !<br /> <br /> Pour Aglaé : <br /> Le recueil... ça mitonne, ça murit...<br /> Bisous<br /> RV
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